Monsieur le Ministre,

 

Nos associations, engagées pour les droits des femmes et contre les violences faites aux femmes, souhaitent vous faire part de leur préoccupation à propos de certains articles du projet de loi sur l’immigration, qui restreignent les droits de femmes étrangères en France et menacent leur autonomie : il s’agit notamment des articles concernant le regroupement familial (articles 13 et 21), les conjoints de Français (article 11) et les étrangers susceptibles de faire l’objet d’une mesure d’éloignement (article 23).

 

Selon les dispositions des articles 13 et 21, les personnes arrivant en France par le regroupement familial, des femmes majoritairement, n’auront plus droit au même titre de séjour que la personne qu’elles viennent rejoindre (il s’agissait le plus souvent d’une carte de résident de 10 ans), mais seulement à une carte de séjour d’un an, qui devra être renouvelée 5 fois avant d’obtenir une carte der résident. Que se passera-t-il pour l’épouse en cas de rupture de la vie commune durant ce laps de temps, telle est une des questions que nous voulons vous poser.

La même précarisation atteint les époux ou épouses de personnes françaises, qui n’obtiendront une carte de résident qu’au bout de deux ans de vie commune et non plus un an  (article 11).

Quant à l'article 23, en conformité avec la loi pour la sécurité intérieure du 18 mars 2003, il permet le retrait d'un titre de séjour de courte durée et la reconduite à la frontière pour les étrangers ayant commis un certain nombres d'infractions parmi lesquelles le racolage. De nombreuses femmes étrangères sont victimes du système prostitutionnel. Les priver d'un titre de séjour, c'est rajouter aux violences du système prostitutionnel.

 

Déjà nos associations rencontrent de nombreuses femmes subissant des violences conjugales, soumises au pouvoir de leur mari, qu’il soit Français ou étranger, mises à la porte ou “ répudiées ” par lui, ou rompant la vie commune à cause de violences qu’elles subissent (voir le journal Libération du 5 mai 2003). Le lien entre leur situation administrative et maritale se révèle dramatique en cas de violences conjugales. Il donne en effet aux époux tout pouvoir et contraint les femmes à renoncer à leur liberté individuelle et à leur intégrité physique sous peine de perdre leur droit au séjour et d'être reconduites à la frontière.

Les femmes se sont battues pour le droit au divorce et la reconnaissance de la violence conjugale comme un délit. Les femmes étrangères ne doivent pas être privées de ces acquis. Leur refuser ou leur retirer le droit au séjour parce qu'elles décident de rompre avec les violences, c'est leur infliger une double peine,  une double violence. Par ailleurs, comment attendre d'elles qu'elles répondent aux critères d'intégration qui leur permettraient d'obtenir une carte de résident, quand ce projet de loi les contraint à un statut précaire - pendant deux ans pour les épouses de Français et cinq ans pour les épouses d'étrangers ? Ces titres de séjour temporaires sont en effet loin d'être propices à une installation satisfaisante en France, notamment professionnellement.

Dans votre circulaire aux préfets du 19 décembre 2002, vous vous préoccupiez du  sort des femmes victimes de violences, de mariages forcés, de répudiations. Dans ce projet de loi vous prenez des dispositions pour lutter contre les mariages forcés. Mais d’autres articles de votre projet de loi aggraveront encore davantage la situation des  femmes étrangères.

 

C’est pourquoi nous demandons un rendez vous afin de vous faire part de nos questions à propos de votre projet de loi et de vous demander quelles mesures vous comptez prendre pour remédier aux situations de violences vécues par des femmes étrangères en France.

 

En attendant une réponse positive à notre demande de rendez vous, nous vous prions, Monsieur, d’agréer l’expression de nos salutations respectueuses

 

Paris, mai 2003

 

Comité d’action interassociatif “ droits des femmes, droit au séjour, contre la double violence ”