Commission sur les violences sexuelles faites aux femmes

du Collectif 13 Droits des Femmes

Siège social : 13, bd. des Frères Godchot - 13005 Marseille

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LE PHENOMENE DE LA TOURNANTE

 

RAPPORT DE RECHERCHE-ACTION : L’EXEMPLE MARSEILLAIS

 

 

Septembre 2002

 

 

Chercheuse : Béatrice SBERNA

Commanditaire : Collectif 13 Droits des Femmes

 

 

 

 

 

Avec le soutien financier de :

 

Conseil Régional, Délégation aux Droits des Femmes du Conseil Général, Délégation Régionale aux Droits des Femmes et à l’Egalité.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PREAMBULE

 

 

C’est l’histoire réelle d’une jeune fille de 15 ans qui habite dans un quartier du 15ème arrondissement de Marseille. Elle a fait pour la première fois l’amour avec un homme de 6 ans son aîné. De jeune adolescente, elle est devenue femme, transition dans le monde des adultes que l’étape de la défloraison inscrit irrémédiablement dans l’histoire particulière de chacune des femmes. On se souvient ; on en parle pudiquement avec douceur, effroi ou malaise mais toujours avec en tête que c’était la première fois. Avant il y avait le rêve, le scénario que l’on a toujours eu en tête et qui s’est affirmé au fil des ans. Il sera ce prince charmant ou cet inconnu qui partira sur la pointe des pieds pour laisser la place au grand amour, le vrai, celui que l’on a imaginé. Après, c’est différent. On essaie de coller le rêve à la réalité ou d’imaginer une réalité en fonction des rêves que l’on s’est fabriqués.

 

Cette jeune fille devenue femme s’est donnée à cet homme, le premier. Le don de soi est l’une des composantes de l’histoire des premières amours, composante qui s’analyse peu faute d’être prise au sérieux par l’analyse scientifique, politique ou judiciaire. Généralement, l’observation rigoureuse des pratiques retient de l’histoire amoureuse entre deux personnes la relation sexuelle et non pas le fait d’aimer ou d’avoir aimé. État difficile à prendre en compte, subjectivité d’une action (aimer) qui repose autant sur l’imaginaire que la réalité. C’est quoi l’amour ? Effeuiller une marguerite (un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout), l’idée d’une vie meilleure (à deux c’est plus facile), le cœur qui bat plus vite (je sens que c’est lui ou elle), les pupilles qui se dilatent (j’ai envie) ? Une histoire à deux qui pourrait commencer, une relation intime entre deux personnes.

 

Ce que les contemporains de l’analyse nomment « sérieux » concerne le déroulement de l’action, le contexte de l’énonciation, la présence et l’absence des acteurs, le nombre des acteurs et le type d’interactions. En cas de litige, de conflit ou de violence, l’amour n’est ni quantifiable ni défendable.

 

Le fait que cette jeune fille aimait cet homme n’est pas un critère pris en compte par les autorités assermentées. On veut savoir s’il y a eu sodomie forcée, le nombre de fellations imposées et les autres pénétrations non désirées. Combien ? Avec qui ? Où ? Quand ? Comment ? Elle voulait ou elle ne voulait pas ? Si elle ne voulait pas, pourquoi elle a accepté des relations avec des hommes qui le lui imposaient ? Elle avait des rendez-vous, non pas des rendez-vous avec son amoureux, mais des rendez-vous avec des hommes qu’elle ne connaissait pas dans des hôtels, des caves et des cages d’escaliers. Elle allait à ces rendez-vous et elle ne gagnait pas d’argent ; lui, elle ne sait pas. Elle est juste sûre d’une chose : elle ne comprend pas ce qui s’est passé. C’était son premier homme, elle avait confiance, il l’a trahie. Elle a eu peur d’avoir le sida, alors elle a fait un test. Il était négatif. Elle l’a dénoncé, a porté plainte ; ils ont recueilli les informations, elle a déménagé.

 

Elle a quitté son quartier pour tenter de refaire sa vie. C’était sa première histoire d’amour.

 

 

 

 

 

 

 

 

INTRODUCTION

 

 

Le terme de « tournante » laisse perplexe un certain nombre de femmes et de féministes.

 

Nous avons pris le parti dans cette recherche d’adopter le point de vue des agresseurs pour mieux comprendre le phénomène. Le terme « tournante » existe dans le langage courant, donc il signifie « quelque chose » de particulier. L’usage du mot est significatif d’un état d’esprit qui permet de décrire le phénomène, donc un ensemble de contextes qui créent les conditions d’existence de ce phénomène. Nous entendons par phénomène un type d’action qui met en présence des acteurs, des réseaux, des conduites et des motifs qui poussent les auteurs à agir. On sait que la recherche des raisons qui poussent les auteurs à agir permet de rendre un objet d’étude singulier, donc spécifiquement rattaché à des pratiques propres à un groupe d’acteurs qui ont en commun de partager une certaine vision du monde à un certain moment donné de leur histoire de vie. Il nous appartient de trouver le contexte général auquel le phénomène se rattache et de délimiter le champ d’action qui rend ce phénomène particulier. Le fait de nommer une action et des acteurs est significatif d’une prise de position sur le monde ; le fait de prendre en considération la nomination « tournante » permet de faire un état d’une société.

 

Ce que les auteurs d’une tournante désignent communément par « tournante » est le fait de « faire tourner » une femme entre différentes bandes d’hommes, au gré de leur bon vouloir, comme on fait tourner un joint de façon conviviale entre différents individus invités à un moment festif. Car il s’agit bien, pour les agresseurs, d’un moment de fête au cours duquel une femme devient un objet déshumanisé, une marchandise qui n’appartient plus à personne, un service rendu qui devient le prétexte à se rencontrer, entre hommes, pour une histoire d’hommes. Cet objet s’échange, se prête, se négocie et enfin se rejette. Il redevient personna lorsque la femme décide de sortir du jeu, c’est-à-dire le jour où elle dit non, donc le jour où elle retrouve son identité de femme.

 

Le phénomène de la tournante est complexe : il croise les variables que sont le viol, l’exploitation sexuelle (prostitution et pornographie) et la violence conjugale. Une femme subit physiquement et psychologiquement un viol collectif ; dans le phénomène de la tournante, la violence froide (psychique) est au cœur du dispositif permettant au phénomène même d’exister. La violence psychique faite par un homme à une femme devenue tournante est suffisamment forte pour que la femme accepte de se rendre à des rendez-vous, avec d’autres hommes, alors qu’elle sait pertinemment qu’elle subira des violences sexuelles. Elle n’est pas rémunérée, ni séquestrée mais manipulée à petites doses de façon régulière et calculée. La plus grande forme de manipulation est l’amour, lorsqu’il devient pervers ; la plus grande forme d’acceptation est la peur. Des hommes disent qu’une femme devient tournante parce qu’elle est « facile » et qu’elle « aime ça » ; elle répond que si « elle l’a fait » c’est qu’elle avait confiance, qu’elle ne savait pas et que maintenant elle a peur.

 

On peut considérer que la femme dite tournante est une femme qui a été violée dans la mesure où elle a été forcée par un tiers à adopter un certain type de comportement sexuel, comportement qui se caractérise par le fait d’avoir intégré un réseau dont le premier violeur ou amant (dans le cas d’une situation de non-viol au départ) a été l’initiateur de l’histoire qui a rendu une femme « tournante ».

 

On « est » violé alors qu’on « devient » tournante, cette distinction entre le fait d’avoir subi un acte ponctuel même à répétition et celui d’entrer dans un processus évolutif qui intègre la notion d’exploitation sexuelle (réseau de malfaiteurs, commercialisation du viol) caractérise le phénomène de tournante. Une femme qui est violée peut ne pas être une tournante, une femme dite tournante est une femme qui a été ou est violée.

Le viol est un des éléments de l’histoire de la femme dite tournante, en aucun cas le fait d’avoir été violée résume l’histoire de la femme devenue tournante.

 

Commençons par répertorier les différentes formes de violences faites aux femmes. Plus qu’une énumération, ce court répertoire est construit de façon pertinente, c’est-à-dire qu’il résulte d’une confrontation de concepts entre l’existant en matière de violences faites aux femmes et l’objet d’étude « tournante ». En ce sens, les différents domaines abordés ne sont pas exhaustifs. Un premier filtre est posé : celui des violences sexuelles. Elles ne suffisent pas à elles seules et de manière isolée à décrire le phénomène mais le croisement de chacune d’elle, à des dosages différents, permettra ultérieurement de délimiter le phénomène.

 

 

I - UNE DÉFINITION DU PHÉNOMÈNE « TOURNANTE »

 

 

1 - UNE ENTRÉE PAR LE VIOL

 

Nous savons que la plupart des femmes violées, c’est-à-dire qui ont vécu une relation sexuelle forcée sous la contrainte physique et/ou psychologique, ont ou « ont eu » la plupart du temps et à un moment donné une relation affective avec l’agresseur que ce soit le mari, l’amant, le copain, l’ex ou un membre de la famille.

 

Le lien privilégié avec au moins le premier agresseur caractérise ce que nous nommons « la tournante », il détermine l’existence même du phénomène. La femme dite tournante accepte la première relation sexuelle avec le premier homme qui la contraint par la suite à avoir des relations sexuelles avec d’autres hommes qu’elle ne choisit pas. Cette première relation est fondamentale, elle est le déclencheur de la suite des événements qui construit l’histoire cette femme. Le bon déroulement de la première relation influence l’effet de domination qui s’installera par la suite, au détriment de la femme. Si la relation avec le tout premier partenaire se passe bien (rapport non-violent, instauration d’un climat de confiance, création d’un lien affectif) et dans le cas où cet homme proférerait une intention de faire passer la femme au mode de tournante, les probabilités pour que l’opération réussisse dans la durée sont grandes. Dans ce cas, la création du phénomène dont l’auteur est l’agresseur ne nécessite pas, du moins au départ, l’instauration d’une relation de violence. Les relations forcées avec d’autres hommes s’effectueront soit sous le contrôle du premier, soit sous la responsabilité d’un autre. Dans ce dernier cas, on constate une passation de pouvoir effectuée au détriment de la femme et sans son consentement. La femme n’est plus un sujet autonome, elle devient une marchandise dont la valeur fluctue au gré d’un marché du sexe soumis aux contraintes de l’offre et de la demande. Ne considérer « que » le viol dans le cas de la femme dite tournante revient à évacuer du phénomène un grand nombre de paramètres.

 

              a) la prise en compte d’un système mafieux

 

Le système de relations qui régit le phénomène relève de l’organisation mafieuse. La femme dite tournante est un des éléments qui permet à un homme, auteur de l’événement, d’obtenir ou de conserver une position privilégiée au sein d’un environnement déterminé. Sa responsabilité s’exerce auprès des hommes (il doit les satisfaire), elle est nulle lorsqu’il s’agit de la femme (elle doit obéir). Dans les deux cas, il instaure un rapport de domination : domination symbolique auprès des autres membres du milieu, domination physique et psychologique pour contraindre la femme. Il est pour les uns chef charismatique et pour la femme sujet violent. La contrepartie qu’il obtient des hommes est au moins une reconnaissance morale et/ou concrète.

Ce type d’organisation est basé sur la loi du silence, un système de répression violente et la difficulté pour la victime de s’extraire du milieu. Enfin, l’une des contraintes sous-jacentes au fonctionnement d’une organisation mafieuse est de réaliser « le plus souvent » des opérations discrètes qui n’attirent l’attention ni des médias, ni des responsables politiques et/ou associatifs d’un quartier, d’une ville ou d’un État. En ce sens, on peut penser que le fait de « faire tourner » une femme entre les membres d’un même groupe liés entre eux par une appartenance territoriale, des activités communes ou au moins des objectifs similaires est une façon très discrète de faire perdurer l’existence d’un milieu. Pas de transaction financière évidente, acceptation apparente de la femme et loi du silence. Les opérations s’effectuent à partir des quartiers dans lesquels sont recrutées les futures femmes dites tournantes.

 

Si le viol existe, le phénomène est caractérisé par l’exploitation sexuelle. Si on retient la notion de viol, le terme de « commerce du viol » est plus adapté à ce phénomène.

 

2. UNE ENTRÉE PAR LA PROSTITUTION

 

Dans ce cas, la femme est de la même manière abusée. La violence physique peut être remplacée par un conditionnement psychologique l’incitant à agir contre sa volonté. Le fonctionnement en réseau de la prostitution ressemble au réseau dans lequel évolue la femme dite tournante : il est organisé et hiérarchisé. Le leader délinquant introduit la victime dans cette organisation et contrôle le « bon fonctionnement » des activités.

 

Il agit de la même manière qu’agit un proxénète. Il est difficile de savoir si ce dernier obtient une contrepartie financière de la part des autres agresseurs en échange des prestations sexuelles de la femme. Une contrepartie existe, elle est au moins symbolique, elle a les mêmes caractéristiques que celles de la violence froide ; elle est silencieuse, invisible au commun des mortels, donc quasi impossible à prouver vis-à-vis des autorités compétentes en matière de maintien de l’ordre public. Elle ressemble à un échange de services. Les jeunes femmes qui deviennent des femmes dites tournantes sont instables psychologiquement et vivent des situations économiques et affectives précaires : elles sont une proie idéale au commerce du sexe. Il est fort peut probable qu’elles reçoivent en retour quelque chose de bénéfique pour elles, c’est-à-dire qui tendrait à modifier positivement leurs conditions de vie.

 

a)  L’inconnue financière et le rapport au territoire des victimes

 

On l’a évoqué : dans le système d’organisation qui prévaut dans l’étude du phénomène, la contrepartie financière n’est pas connue. Un autre fait à prendre en considération est le rapport au territoire des acteurs victimes. Les femmes devenues « tournantes » habitent et exercent les pratiques sexuelles principalement dans leur milieu de vie alors que les prostituées sont la plupart du temps exportées de leur territoire d’affiliation (changement de quartier, de ville et de pays). Pour échapper à cette organisation, la femme dite tournante doit changer de domicile. Les pratiques s’effectuent dans des lieux publics et dans des lieux privés difficilement repérables : ce ne sont pas les sex-shops, les peep-shows, ni les salons de massage, ni les bars, ni les clubs échangistes, mais les hôtels sans étoiles, les caves, les espaces verts, les voitures et les toilettes d’un établissement scolaire. Il existe un système de hiérarchie marchande pour les acteurs qui pratiquent l’exploitation sexuelle sous la forme de la prostitution : le prix de la femme est fonction de la nature de sa prestation et de la valeur esthétique du sujet exploité, dans ce contexte particulier. La valeur marchande de la femme dite tournante dépend plus de son aptitude à « accepter » puis à prolonger dans le temps son exploitation. Plus que la prostitution, l’exploitation sexuelle est un indicateur pertinent pour l’analyse des mécanismes régissant le phénomène.

L’exploitation sexuelle inclut le harcèlement sexuel, le viol, l’inceste, la violence domestique, la pornographie et la prostitution[1].

 

Le commerce du viol est une exploitation sexuelle, l’exploitation sexuelle sans contrepartie financière peut conduire à des conduites prostitutionnelles. Dans ce sens, les deux variables « viol » et « exploitation sexuelle » ont une valeur incitatrice : elles préparent le terrain de la prostitution telle qu’elle est définie généralement par le code pénal.

 

3. UNE ENTRÉE PAR LA VIOLENCE CONJUGALE

 

L’histoire est connue des associations qui s’occupent des violences conjugales. Au départ il y a l’amour entre deux partenaires puis, plus ou moins rapidement, s’installe un processus évolutif au cours duquel le lien privilégié se transforme en un rapport de forces qui porte préjudice à la femme.

 

Les deux sujets auparavant autonomes deviennent une victime et un agresseur, la relation amoureuse évolue vers une prise de pouvoir, une relation de domination s’installe. Ils faisaient l’amour, ensemble, maintenant elle lui appartient parce qu’il lui fait l’amour comme il l’entend. Dans un climat de secret et de silence, la sphère privée devient le lieu de l’enfermement, de la soumission, des combats de survie qui s’effectuent au détriment de la femme. Elle meurt petit à petit psychologiquement, elle se détériore physiquement, elle n’est plus un sujet mais un objet que l’homme s’est approprié. L’acte de soumission obligé est par excellence le viol conjugal systématique. Il obtient par la force des bénéfices sexuels, économiques et/ou symboliques. Il contrôle toutes ses actions, il ne se sent pas responsable : il pense avoir tous les droits sur elle et uniquement sur elle. Elle est sa propriété, son jouet, son pushing ball, une partie de lui. Il la modèle à ce qu’il aimerait qu’elle soit et lorsqu’elle ne se conforme pas à cette figure idéale, il devient violent ou au mieux amer, déçu qu’elle n’y parvienne pas. Il a placé tous ses rêves de puissance en elle, il a investi toute son énergie pour détruire ce qu’il n’aimait pas ou plus chez elle. Il y est arrivé, elle est devenue soumise et comme elle est soumise, il devient encore plus violent. Il repousse ses limites (à elle) pour obtenir encore plus. Elle culpabilise. Étrange réponse de la victime à l’agresseur, elle s’en veut de ne pas être à ses yeux parfaite. Elle pensait pouvoir le changer. De l’amour, elle est passée à la haine, puis à la peur. Elle a peur des représailles. Si elle dit non ou si elle part, il peut la tuer, elle peut se suicider.

 

a) la pluralité des partenaires et un élargissement du terme « conjugal »

 

Dans la violence conjugale, la domination provient d’une relation sur le mode de la fusion entre deux individus. Le « tu m’appartiens » de l’homme adressé à la femme ne peut être que sur le mode du binôme et en sens unique. Il ne la prête pas, ne l’échange pas, ne la fait pas « tourner ». L’angoisse qu’elle puisse avoir des relations sexuelles avec un autre homme est l’élément moteur de l’existence même de cette forme de violence. La femme dite tournante, si elle peut appartenir symboliquement à un homme, est échangée et prêtée à d’autres. L’existence même du mot tournante inclut le fait de devenir une marchandise échangée entre des hommes. Si le résultat est similaire entre une tournante et une femme qui subit des violences conjugales (l’instinct de propriété) de la même manière que l’objet de la relation (l’appropriation de l’identité d’un sujet), les intentions des agresseurs sont différentes : dans le cas de la violence conjugale, la femme est happée par l’homme (elle lui appartient physiquement) ; dans le cas de la tournante, la femme est éjectée vers d’autres hommes (elle n’appartient à personne).

Dans le premier cas, l’homme importe la femme dans son « moi » (relation de fusion) ; dans le deuxième, elle est exportée vers d’autres espaces, d’autres corps, d’autres fantasmes. Si on insère au terme de conjugal la relation affective privilégiée au moins de départ et la multiplicité des partenaires, la forme de cette violence peut s’inscrire dans le phénomène de la tournante.

 

À propos de la notion de conjugale, l’évolution sociale des situations « à deux » autorise une redéfinition du terme propre à signifier l’existence d’un lien affectif entre deux personnes, pendant une durée indéterminée, et quel que soit le mode de relation qui construit ce lien. En d’autres termes, les codes juridiques qui unissent culturellement un homme et une femme ne peuvent plus à eux seuls signifier le fait de vivre une relation conjugale. En dehors du mariage, du concubinage et du pacs, il nous paraît indispensable de penser la notion de conjugal en fonction d’une autre réalité sociale, à savoir la non-résidence commune des deux partenaires. À titre d’exemple, SOS Femmes (Marseille) a entamé une procédure auprès des instances judiciaires et parlementaires pour redéfinir la notion de conjugalité dans le but de combler les lacunes pénales dans l’hypothèse où deux personnes ne vivent pas ensemble[2]. L’association se base sur le constat d’une recrudescence des violences conjugales sur des populations féminines jeunes vivant au domicile des parents et sur des femmes en situation de rupture de lien affectif avec leur ex partenaire et en situation de précarité. Il conviendrait de penser une nouvelle forme de conjugalité sachant que le terme juridique de « conjugal » ne peut être redéfini que si les acteurs de terrain s’approprient les sens du mot dans les discours relevant des pratiques en cours, dans les domaines aussi bien privés que publics. De la même manière que l’utilisation du mot « tournante » relève d’une réalité des pratiques que nous instruisons ici, les significations du mot « conjugal » évoluent avec les pratiques en cours dans une société. À mon sens, le phénomène de tournante relève aussi du domaine des violences conjugales.

 

Compte tenu de la proposition d’un nouveau sens à affilier au mot « conjugal », qui est à discuter dans un premier temps au sein des mouvements associatifs en faveur des femmes, puis à un niveau politique et parlementaire ; il apparaît que l’existence d’un lien affectif, pendant ou avant les violences exercées à l’encontre de la femme, caractérise la plus grande partie des situations propre au phénomène de la tournante. Elles entrent aussi (en partie ou entièrement) dans les catégories du viol et de la prostitution.

 

4. RETOUR VERS LES FORMES DE VIOLENCES ÉNONCÉES

 

Pour une définition du phénomène de tournante

 

Les trois variables (viol, prostitution et violence conjugale) ont permis de décrire et de hiérarchiser des contextes propres à déterminer l’existence du phénomène de la tournante. La hiérarchie des contextes proposée ci-après tient compte des rapprochements pour une définition la plus précise possible du phénomène.

 

Le premier contexte est celui qui propose le plus de limites au phénomène dans le sens où il inclut le plus petit nombre de paramètres, le dernier est celui qui peut englober les autres formes de violences sexuelles que l’on vient d’énoncer. Le premier contexte est le viol (élargi au commerce du viol), le deuxième la violence conjugale (élargi à la relation affective) et le troisième la prostitution (élargi aux formes connues de l’exploitation sexuelle). Le contexte de l’exploitation sexuelle est le plus large, celui qui peut inscrire le phénomène dans sa globalité sans risquer de « perdre » un élément important de la définition du phénomène de tournante. Il inclut le viol, la prostitution et la violence conjugale. Ceci étant posé, revenons maintenant aux formes de violences énoncées.

 

Retour vers le 3 : par rapport à la violence conjugale.

La relation affective entre deux partenaires est la plupart du temps le déclencheur de l’histoire d’une tournante. Du mode amoureux (climat de confiance) les partenaires passent au mode pervers (rapport de force), le glissement s’effectue lors du passage entre le rapport égalitaire et le rapport de domination au détriment de la femme. Le climat de confiance a préparé le terrain de la violence et « l’acceptation » de la part de la victime du rôle de victime.

 

On retient de la violence conjugale le rapport de confiance vis-à-vis du futur agresseur.

 

Retour vers le 2 : par rapport à la prostitution

Il convient de retenir la notion d’exploitation sexuelle comme domaine qui relève des violences faites aux femmes en général et des violences faites aux femmes dites tournantes en particulier. Dans le cas de la tournante, la femme est utilisée comme intermédiaire privilégié entre des hommes Le fait d’insérer une femme dans un réseau d’hommes, demandeurs ou acceptant ce type de pratiques dénué de tout contexte affectif, permet à l’homme qui a créé le phénomène de la tournante de réguler les échanges à l’intérieur du réseau et entre l’extérieur et l’intérieur. La femme a une valeur d’échange, à des fins sexuelles. Un réseau s’approprie une femme qui devient la victime d’une organisation clandestine. Les violences sexuelles sont une des conséquences de cette forme d’échange, la fin étant la création ou le maintien d’un réseau.

 

On retient de la prostitution l’une des formes possibles de l’exploitation sexuelle

 

Retour vers le 1 : par rapport au viol

Au regard du phénomène de la tournante, le viol est un des éléments qui permet de considérer la femme comme victime d’une agression sexuelle. Nous utilisons une métaphore qui devrait permettre de comprendre en quoi le fait de limiter le phénomène au viol serait restrictif. La femme dite tournante peut être comparée à une blessée qui se rend à l’hôpital : elle a mal, mais rien ne saigne. Elle n’a pas mal quelque part en particulier mais de partout à la fois, en même temps. Seul un généraliste pourra prendre en compte les multiples facettes de ses blessures, un gynécologue (donc un spécialiste) traitera l’aspect purement féminin (génital) de son mal. La société est friande de spécialistes qui résument les problèmes à un problème, les aspects d’une question à une question, les déterminants d’un phénomène à un déterminant. De cette manière, tout peut être résumé et classé dans une catégorie connue par le spécialiste sur la question qui traitera d’un problème, l’objectif étant qu’il n’y ait qu’une grande question pour au final n’avoir à régler qu’un problème.

 

À titre d’exemple, l’organe des Renseignements Généraux du ministère de l’Intérieur gradue sur une échelle de 1 à 8 les « indicateurs de la violence dans quartiers sensibles » du moins important au plus important. L’échelle est définie par rapport aux formes de violence contre ce et ceux qui symbolisent l’autorité. En ce sens, la violence étudiée est relative à une violence envers l’institution et les actions des représentants de l’autorité varient en fonction du degré auquel appartient la violence recensée. Les viols collectifs font partie du premier degré au même titre que les vols à l’étalage, la dégradation de biens et les bagarres. Si les degrés augmentent en fonction de l’aspect collectif (le huitième concerne l’émeute), le viol collectif relève toujours de la sphère privée et intéresse au premier degré sur huit les autorités. Autre fait significatif concernant le régime de la France en matière de législation sur la prostitution : il est abolitionniste. Si la prostitution est considérée comme un fléau social, elle est aussi « une affaire privée » dont la prostituée est l’une des victimes.

 

On retient du viol la commercialisation du viol

 

Vers une conclusion

 

Si on décide que la femme dite tournante est à classer dans la catégorie du viol, son traitement institutionnel relèvera des violences mineures parce qu’elle ne perturbe pas l’ordre public (selon les R.G.). Si le phénomène de la tournante est rattaché aux domaines de l’exploitation sexuelle et du crime organisé, le phénomène pourra être pris en compte à un niveau plus important parce qu’il s’agira d’une atteinte à l’ordre public. Le traitement du phénomène de la tournante est celui du traitement de la violence et plus spécifiquement de la petite, moyenne et grande délinquance.

 

Seuls le proxénétisme et le racolage sont véritablement définis comme un délit puni de peines d’emprisonnement. On constate que la législation française s’intéresse principalement aux acteurs de la violence qui peuvent perturber l’ordre public. La victime lorsqu’elle est principalement une femme (ou un enfant) fait pleurer « la pauvre, elle a dû souffrir », ou parler d’elle « regardez comme elle souffre ». Le principe étant dans le cas des violences faites aux femmes de privilégier le processus connu de victimisation d’un groupe social qui relègue dans ce cas un problème de « condition de femmes » à « une affaire de femmes » à régler principalement entre femmes.

 

Un positionnement du côté des auteurs de la violence nous paraît, au regard de la législation française, plus opportun. La femme dite tournante devient alors un phénomène social lié à la délinquance urbaine et non plus une affaire de viol qui relève des affaires sociales, du domaine de la santé et des associations de femmes.

 

 

II - UNE SOCIOLOGIE DE LA VIOLENCE

 

 

Dans toutes les définitions proposées sur la violence, le rapport de force et de domination qu’exerce un individu (l’agresseur) sur un autre (la victime) est le fait principal qui caractérise ce type d’agression. On évitera de décrire le phénomène dont les conséquences sont largement inscrites dans les rapports psycho cliniques des professionnels de la santé repris par les institutions et les responsables des associations qui luttent contre les violences faites principalement à l’encontre des femmes.

 

Une sociologie pratique de la violence s’occupe principalement de comprendre, du point de vue des stratégies sociales, comment une situation de violence peut exister à un moment donné et de quelle forme de violence il s’agit[3]. L’individu est observé dans un réseau d’échanges et non en tant qu’individualité (approche plus psychologique). Ce type de sociologie prend en compte les acteurs d’une violence qui occupent une relation directe ou indirecte avec la victime, les interactions entre ces acteurs et le système qui rend possible cette situation de violence. Il s’agit de mettre en évidence des effets de structures qui autorisent et rendent possible le coup de force, la violence symbolique, le conditionnement psychologique. Chaque acteur est considéré comme étant l’élément d’un rouage dont il faut démanteler les mécanismes. La première étape du travail consiste à repérer les acteurs et le rouage puis à trouver le mécanisme.

Nous retenons dans l’explication de la violence la notion d’altérité propre à la construction de n’importe quelle organisation sociale. La violence existe parce qu’elle est tournée vers cet autre qui devient, au moment de l’acte violent, l’objet de transfert de sa propre souffrance.

 

Un homme violent est un homme privé de quelque chose qui lui paraît essentiel : il ne peut l’obtenir dans des relations égalitaires parce qu’il est ou se sent en position d’infériorité et parce que l’autre détient « cette chose » qu’il ne veut pas ou ne peut pas lui donner. En ce sens, le vol, le vandalisme ou le terrorisme signifient la prise de conscience physique, économique ou politique du manque. De la même manière, le viol est une prise de conscience de l’incapacité à obtenir de l’autre la satisfaction de son propre désir.

 

1 - LA VICTIMISATION

 

La victimisation est un procédé qui consiste à rendre noble, donc héroïque, le statut de victime. Le procédé tend à désengager la responsabilité d’un groupe social (ethnique, biologique, etc.) dans le but de désigner un coupable pour obtenir une réparation. Le groupe est alors stigmatisé comme étant « dominé » et victime d’un autre groupe ou d’une situation dont il n’est pas ou peu responsable des agissements. C’est l’éloge de l’opprimé qui prime dans le discours.

 

La théorie sur la victimisation peut rendre visible un rapport de domination que le discours au profit des plus faibles parvient à masquer. Elle est intéressante dans la mesure où elle permet de démanteler des techniques sournoises de domination. Le fait de victimiser une communauté ethnique, sexuée, ou politique peut être une stratégie de domination consciente ou inconsciente mise en place par le groupe qui victimise en direction de la communauté désignée. C’est l’effet connu du miroir (image inversée) ou la technique qui consiste à regarder l’ombre que produit la lumière. La technique de domination (sournoise) consiste à placer les responsables d’institutions dans une position de protecteurs des femmes victimes. On sait que le fait de protéger induit un rapport de domination dans le sens où le plus fort porte secours au plus faible en échange de sa soumission ou du moins de quelque chose dont le plus faible est porteur et qui manque au plus fort.

 

En ce qui concerne la violence faite aux femmes, on peut tenter de décrire le processus violent en essayant de démanteler le système qui permet l’existence du tandem victime-coupable. La violence peut engendrer du plaisir pour l’agresseur dans la mesure où la victime et l’agresseur se conditionnent mutuellement. Une situation égalitaire entre deux partenaires laisse progressivement la place à une relation de domination. Dans ce dernier cas, la présence d’une victime et d’un agresseur devient alors effective et bien réelle. Une séquence du film cinématographique Baise-moi de Virginie Despentes illustre l’idée de « conditionnement mutuel ». Deux hommes sont en situation de violer chacun une femme, toutes les deux réunies dans un même lieu : la première femme résiste, elle est violée. L’homme est manifestement satisfait : il a pu exercer son rapport de domination. Il devient l’agresseur parce qu’elle est devenue la victime. La deuxième femme ne résiste pas : elle lui dit « baise-moi ». Dans les deux cas, les femmes ont été victimes d’un viol, mais de façon rationnelle on constate que, dans le premier cas, le viol a eu lieu dans sa forme physique et psychologique alors que, dans le deuxième, il a échoué dans sa forme totale.

 

Le rapport de domination symbolique a été inversé par l’action de la femme. Même si elle a été violée, elle devient actrice active de la scène. Elle est victime de la situation mais par son discours, elle a pu renverser le rapport de force. La jouissance que l’agresseur voulait obtenir par la violence n’a pas eu lieu.

La violence sexuelle est la première forme de violence faite à l’Institution dans la mesure où elle est le signe le plus primaire et troublant d’une transgression des règles régissant un ordre social.

 

Au sein des mouvements féministes, il existe à peu près deux types de combats, orientés vers la même fin, à savoir l’amélioration des conditions de vie des femmes : le premier adopte une position sexuée (voire genrée), le deuxième attribue aux femmes le rôle de porteuse d’un Universel[4]. Dans le premier, le risque est d’enfermer les femmes dans une vision du monde de type communautariste ; dans le deuxième, le risque est de ne pas prendre en compte la situation particulière des femmes. La solution se trouve peut-être dans le fait de proposer des solutions à la problématique de la violence en pensant des stratégies de prévention contre toutes les formes de délinquance envers les femmes, les enfants et les hommes. Le regard de femme devient alors une expertise sur le monde au moment où à peu près tous les regards d’hommes sur le monde ont été épuisés, en vain. La révolution sexuelle pour les femmes a préparé la révolution intellectuelle des femmes.

 

Dans le cas de la violence effective faite aux femmes, le fait que des institutions majoritairement composées d’hommes instruisent et défendent des dossiers sous l’appellation d’une violence faite « aux femmes » contribue à ce que les femmes soient catégorisées dans un système qui laisse perdurer un possible rapport domination hommes-femmes et l’installation définitive des femmes dans le statut de victimes.

 

2 - LA DOMINATION SYMBOLIQUE

 

La violence est la caractéristique d’une frustration. L’agression est directement tournée contre la source de la souffrance qui devient la victime de l’acte violent. Un individu qui se trouve une raison valable pour agresser un représentant de l’ordre public a un problème par rapport à l’autorité, le représentant de l’ordre public est un signifié (une représentation symbolique). De la même manière, un individu qui est violent envers une femme à un problème par rapport aux femmes. Il exerce son rapport de domination par la force physique. Le « travail » sur cet individu consisterait à considérer la réalité de son problème dans le but de tenter d’annuler le processus de transfert. Dans le cas d’une violence sexuelle exercée par un homme à l’encontre d’une femme, la femme est le signifié du manque.

 

On peut ajouter aux caractéristiques connues de la violence le conditionnement psychologique qui prépare l’agression ou l’annule. Dans le cas d’une manipulation réussie, c’est-à-dire lorsque la personne demandeuse d’un service obtient satisfaction, l’agression n’est pas utile. La victime de cette manipulation aura l’impression d’être consentante ou libre acteur de la situation, qu’il s’agisse de regarder un film pornographique ou de pratiquer l’échangisme versus classes favorisées (dans un salon privé) ou tendance classes populaires (dans une cave). Le résultat n’en sera que plus efficace dans la mesure où l’exercice de la force n’aura pas été utile. Le conditionnement inscrit la violence dans le long terme, elle pourra être répétée et programmée puisqu’il y aura « acceptation » de la victime tant que le lien n’est pas rompu. On arrive à un point central de la domination symbolique : parvenir à ce que l’individu qui subit un acte violent physiquement ou psychologiquement n’ait plus l’occasion de se rebeller parce qu’il croit injustement que l’initiative vient de lui. Sa fuite annulera, de façon évolutive, le conditionnement donc le rapport de domination. Les associations « pour les femmes » évoquent le départ de la victime du processus de violence comme la condition sine qua non de la possible reconversion du sujet victime en sujet auteur de sa propre vie.

Le choix de partir est non seulement difficile mais dangereux : il signifie l’échec de la prise de pouvoir donc la rébellion du sujet qui agresse ou/et conditionne son partenaire.

 

L’éducation est un des point central de la prévention ; l’éducation sexuelle et amoureuse des jeunes devrait être un des points fondamentaux de « la lutte contre la violence faite aux femmes » et de la lutte contre la violence en général. La pornographie fait malheureusement office d’éducation sexuelle, mais une éducation qui est résolument du côté de la violence.

 

Des femmes disent qu’elles aiment regarder ce genre de film avec leur partenaire sexuel. Lorsqu’on leur demande qui a eu l’idée de regarder « la première fois » et  « à deux » un film pornographique, elles répondent pour la quasi totalité « mon compagnon ». On obtient les mêmes réponses lorsqu’on questionne des femmes qui pratiquent l’échangisme dans des lieux privés : elles disent qu’elles aiment l’échangisme et que « la première fois, à deux »,   elles l’ont fait sur proposition de leur petit ami. Du côté des hommes, la réponse est identique dans les deux cas : « je ne l’ai jamais forcée, elle aime ça ». Ces réponses n’ont rien de surprenant pour les féministes. Les femmes ont eu l’habitude d’associer à l’amour, la soumission ; au refus, la perte de l’autre. On retiendra l’importance de « la première fois et à deux » dans l’histoire de la violence répétitive, à l’encontre de la même personne. Le chantage implicite et explicite ou l’appât d’une vie meilleure initie le processus évolutif de la violence. Le rapport Henrion sur  le rôle des professionnels de la santé dans la violence conjugale (2001) caractérise les violences par l’existence d’un « processus évolutif au cours duquel un partenaire exerce, dans le cadre d’une relation privilégiée une domination qui s’exprime par des agressions physiques, psychiques ou sexuelles ».

 

En mai 2002, le Ciem (Collectif interassociatif Enfance Médias) qui regroupe des associations féministes, des syndicats d’éducateurs, des parents d’élèves et des professeurs a publié un rapport commandé par le ministère de la Culture et de la Communication sur l’environnement médiatique des jeunes. Le Collectif s’est inquiété de l’influence de la pornographie sur les jeunes et préconise au CSA la suppression de ce type de programme à la télévision (voir points 6 et 7 de la chronologie de la recherche). Le CSA a accepté cette proposition et travaille dans ce sens depuis la remise du rapport. La pornographie est une forme de violence symbolique dans le sens où les femmes mises en scène semblent généralement obtenir du plaisir par la soumission. La violence est érotisée comme le rapport de domination hommes-femmes est banalisé : il entre dans l’ordre des comportements normaux. L’image violente de la sexualité ne peut qu’influencer la représentation sociale de la sexualité, notamment chez les jeunes en quête de questions en matière sexuelle.

 

Il serait souhaitable que des acteurs du service éducatif et social soient formés à la dimension genrée des problèmes rencontrés chez les jeunes. En terme d’éducation sexuelle, une déviance d’ordre comportemental peut-être le produit de l’intériorisation d’un rapport homme-femme basé sur le binôme domination-soumission, ce dernier étant particulièrement révélé dans le fait de ne pas pouvoir culturellement signifier son refus. Il ne s’agit pas uniquement de parler de fonctionnement biologique des organes de la reproduction mais aussi de respect des corps et de plaisirs partagés. On peut imaginer des films réalisés par des professionnels mettant en scène des partenaires acceptant librement et sans contraintes de se donner mutuellement du plaisir sans qu’il y ait de rapport de force. Dans un esprit laïc et républicain, il est indispensable que des agents du service public se chargent de former et d’informer les jeunes sur la relation d’amour et de confiance prompte à construire la relation sexuelle. Dans le cas contraire, il est probable que des associations à connotation religieuse prennent les devants et réintègrent progressivement des valeurs morales dans l’éducation sexuelle des jeunes là où il ne devrait être question que de plaisirs partagés, de respect mutuel et d’égalité.

 

III - UNE SOCIOLOGIE DE LA JEUNESSE MARGINALE

 

Le phénomène de la tournante est un problème de délinquance, donc de violence urbaine, qui concerne principalement les mineurs. Les processus par lesquels un jeune peut être conduit à adopter des comportements marginaux sont multiples. Le processus est le produit de plusieurs facteurs sociaux qui, combinés, génèrent des conduites « à risque » et des réponses à ces conduites (lois sociales et répressions). Quelques-uns de ces facteurs à risque sont : 1) la pauvreté ou une position sociale de classe moyenne enlisée dans un contexte défavorable à une ascension (donc productrice de tensions), 2) l’échec scolaire ou l’absence d’un diplôme professionnalisant, 3) l’espace mental et physique dans lesquels se déroulent la plupart des activités du sujet (lieu d’habitation, environnement familial, amical et professionnel). Enfin, la période qui caractérise l’état de jeunesse est marquée par la construction d’une identité dont la complexité et le résultat dépendent du processus par lequel elle se construit.

 

Pendant la jeunesse (âge de vie compris entre 15 et 25 ans selon la définition usuelle) l'identité se construit de manière conflictuelle dans le rapport à l'autre[5]. La « juvénisation » est un étirement de l'adolescence, un allongement des périodes de statuts transitoires qui retarde l'entrée dans la vie adulte. Tout se passe comme s'il y avait un retard ou un report du moment de « l'établissement » : allongement de la durée de vie, des périodes de formation, de l'entrée dans une profession sans oublier la station prolongée dans les statuts prématrimoniaux et préparentaux (retard de l'âge du mariage et report de la première naissance).

 

La question de l'avenir est une source d'angoisse et l'environnement affectif assure dans le meilleur des cas la survie économique et une stabilité affective. Du fait même de son manque d'expérience et de qualification professionnelle, le jeune est la plupart du temps non opérationnel sur le marché de l'emploi ou occupe des emplois précaires, ne nécessitant pas de qualification particulière. Associés à un contexte de précarité économique et de désaffiliation (notion empruntée à R. Castel pour signifier la rupture de lien sociétal), les troubles inhérents à une spécificité de génération peuvent entraîner certains types de comportements. La voie de la marginalité est une façon de trouver un remède à sa propre maladie en intégrant des groupes qui présentent les mêmes symptômes.

 

En dehors des mesures publiques mises en place pour favoriser l'insertion sociale des jeunes, l'environnement familial est considéré comme étant un vecteur de réussite ou d'échec. « La famille influence de deux façons l'insertion professionnelle des jeunes. D'une part, elle constitue un milieu culturel plus ou moins favorable à leurs performances scolaires. D'autre part, elle met à leur disposition un réseau relationnel qui, au moment d'accéder à l'emploi, contribue à faciliter l'insertion professionnelle notamment quand les deux parents ont un emploi » (INSEE, Économie et Statistique, « les trajectoires des jeunes : transitions professionnelles et familiales », 1995, p. 118). Le degré de maîtrise de la langue française des parents des jeunes immigrés et d'origine étrangère influence les performances scolaires des enfants, donc leur devenir sociétal.

 

L'instabilité et le poids du passé familial semblent aller de pair avec l'instabilité professionnelle sachant que la concomitance des deux variables, augmente le risque d'une pauvreté monétaire et des conditions d'existence. L'une des situations sociales des plus inconfortables réunit la somme des caractéristiques suivantes : un statut de célibataire isolé de tout contexte de solidarité interpersonnelle avec enfants à charge et une histoire de vie familiale ponctuée par des périodes de chômage et couplée de l'absence de scolarité de l'un des deux parents d'origine étrangère. Le ménage résiderait dans une agglomération urbaine et la personne de référence du ménage combinerait un problème de santé, une absence de qualification professionnelle et une situation d'inactivité ou de sous-emploi sur le marché du travail. Elle occuperait un emploi précaire (CDD, travail intérimaire, stages rémunérés, etc.) et/ou bénéficierait de mesures de protection sociale octroyées par les instances publiques.

 

Le processus de marginalisation est semblable à celui de l'exclusion, tous deux résultent d'un défaut d'intégration et de ce fait dépendent d'un protectorat social identique (le R.M.I.). L'absence de travail régulier provoque, en dehors de toute considération financière, un appauvrissement des supports relationnels et de ce fait un état d'isolement notamment lorsque l'environnement n'est pas régénéré par des activités orientées vers l'autre. Une spécificité de la marginalité juvénile est formalisée dans la notion de la galère. L'un des trois principes constitutifs de cet état est la rage ; soit un comportement qui se traduit par une violence avec ou sans objet, verbale ou non verbale.

 

 

IV - CHRONOLOGIE DE LA RECHERCHE

 

Les huit points de la chronologie proviennent d’informations médiatiques recueillies dans Le Monde, Libération, Le Nouvel Observateur, Marianne et Télé Monte-Carlo.

 

Une commission sur le phénomène de la tournante est créée au sein du Collectif 13 Droits des Femmes après acceptation du projet de recherche en Assemblée Générale par l’ensemble des associations, partis politiques et représentants syndicaux du collectif. Cette commission a réuni régulièrement entre les mois de décembre 2001 et juillet 2002 les représentantes des associations directement partenaires, à savoir : le Mouvement Français pour le Planning Familial représenté par Annette Guidi, SOS Viol par Christiane Berthelot, le Collectif 13 Droits des Femmes par Judith Martin-Razi et la chargée de cette recherche Béatrice Sberna pour l’association commanditaire Collectif 13 Droits des Femmes.

 

En dehors de la commission, les associations SOS Femmes et le Centre d’Orientation, de Documentation et d’Information des Femmes (CODIF) ont été particulièrement actifs dans la recherche de documents sur « les violences conjugales » et « la prostitution » pour le phénomène de la tournante.

 

• Première réunion de la commission le 5 décembre 2001. Plan d’ensemble de la recherche. Discussion autour des sens affiliés aux termes « tournante » et « viol collectif ». Acceptation du mot « tournante » pour la recherche.

 

1) décembre 2001 : une tournante à Perpignan. Une jeune fille de 11 ans est devenue l’objet sexuel de 12 garçons dont le plus âgé a 16 ans. Tout a commencé avec son petit ami et premier partenaire qui l’a incité à avoir des rapports sexuels avec d’autres. Les garçons du collège disent d’elle qu’elle était consentante, les filles qu’elle se vantait de coucher avec les garçons.

 

2) janvier 2002 : propositions du ministère de l’Éducation Nationale et de la Recherche. Un dossier intitulé « 30 propositions pour lutter contre les violences sexuelles dans les établissements scolaires » construit à l’occasion du colloque « violence à l’école et politiques publiques » (discours prononcé par le Premier ministre et le ministre de l’éducation nationale à l’UNESCO en mars 2001). En introduction au dossier : « les multiples phénomènes de violence qui bouleversent les clivages sociaux et touchent surtout les filles apparaissent inquiétants. : elles subissent le diktat d’aînées qui leur imposent des règles ou des codes écrasants, elles subissent enfin le mépris l’autorité et la violence des garçons qui portent sur elles un regard utilitaire. Cette déviation sexiste fondée sur l’oppression et la destruction traumatisante des jeunes filles trouve son point d’aboutissement dans une sexualité forcée ». Les propositions annoncées s’articulent autour des notions de respect du corps de la femme, l’estime de soi, les effets de la culture de bande, une éducation psychosociale dans le cadre de la relation amoureuse

 

• Deuxième réunion de la commission en janvier 2002. Élargissement du réseau d’informateurs (entretiens avec des salariées des associations directement partenaires, des commissaires, la PJJ, SOS Femmes, une commissaire et une avocate).

 

3) mars 2002 : des filles dites tournantes à Marseille. À l’occasion d’un reportage sur le travail de médiation aux proximités de collèges de Marseille pour la chaîne télévisuelle publique TMC, de jeunes médiateurs annoncent l’existence de filles dites tournantes dans les 13ème, 14ème, 15ème et 16ème arrondissements. Les pratiques s’effectueraient dans les immeubles des cités et sur une colline. Selon les médiateurs, les filles apparaissent aux yeux des garçons des collèges comme « consentantes », voire « nymphomanes ». Deux collégiennes nommées par des garçons « tournantes » sont connues des médiateurs. L’une des jeunes filles avouerait que son petit copain la force à avoir des relations sexuelles avec d’autres garçons. Elle habite chez ses parents, elle aurait tenté de se suicider

- une adolescente de 13 ans est « vendue pour 2 à 10 euros la passe » par un jeune de 17 ans à 6 garçons entre 14 et 17 ans à Roubaix. Le jeune est mis en examen pour proxénétisme aggravé.

 

• Troisième réunion de la commission en mars 2002. Décision de contacter les collèges de Marseille pour proposer des actions de prévention en direction des jeunes sur le thème de la sexualité. Constat au niveau des institutions relevant de la justice et de l’ordre public : aucune personne n’a entendu parler de cas de « tournantes » à Marseille.

 

4) avril 2002 : une information juridique. Une avocate travaillant avec SOS Viol nous renseigne sur le cas d’une jeune fille résidant dans le 15ème arrondissement de Marseille qui a déposé une plainte contre son petit ami. Il l’a forcé à avoir des relations sexuelles avec des jeunes hommes du même quartier. Elle vit chez ses parents.

À Aix-en-Provence, le même cas est enregistré par l’avocate ainsi qu’à Aubagne, Istres et Auriol.

 

5) mai 2002 : un viol en réunion. Huit adolescents lyonnais âgés de 14 à 16 ans ont été mis en examen pour « viols en réunion » d’une collégienne de 15 ans. Elle aurait été brusquement saisie par deux adolescents de son collège alors qu’elle se promenait avec deux copines. Le consentement prétendu de la victime est proclamé par les agresseurs, elle aurait subi deux agressions similaires deux mois auparavant. Tout lien affectif (flirt) avec l’accusé principal est nié par la victime. Elle a tenté de se suicider.

- 10 adolescents âgés entre 12 et 16 ans comparaissent devant le tribunal d’Aix-en-Provence pour le viol collectif en mai 2001 d’une femme de 36 ans.

 

• Quatrième réunion de la commission en mai 2002. Réflexion autour de la notion de « conjugalité ». Prévision d’un entretien avec SOS Femmes qui a entamé une procédure en vue de redéfinir le terme de « conjugal ».

 

6) juin 2002 : recherche pour le ministère de la culture et de la communication. Jean-Jacques Aillagon confie une mission d’étude concernant « l’impact de la violence à la télévision sur le public et sur les jeunes » suite au meurtre d’une lycéenne dont l’assassin affirme avoir été inspiré par le film Scream.

- enquête sur « les adolescents victimes de la dictature de la pornographie ». Dès l’âge de 12 ans, les garçons et la moitié des filles ont déjà visionné un film pornographique. Une banalisation inquiétante qui impose des modèles de domination, en privilégiant le plaisir masculin, en niant tout désir féminin et en banalisant la violence » (1324 collégiens interrogés). L’entrée dans la sexualité s’effectue de manière violente. Les jeunes ont de plus en plus de mal à différencier la réalité du fantasme, une bascule s’effectue directement du monde virtuel à l’acte. Le langage et les pratiques sont de plus en plus crus, sans préliminaires. Un sexisme violent naît chez les jeunes garçons, la violence et la suprématie masculine sont normalisées. Enfin on peut parler de frustration sexuelle dans un environnement culturel et médiatique sur sexué (publicités et films pornographiques).

 

• Cinquième réunion de la commission en juin 2002. Discussions sur l’ensemble de la recherche avant l’écriture du rapport. Présence des membres du Bureau du Collectif 13 Droits des Femmes.

 

7) juillet 2002 : proposition du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel : « une télévision sans pornographie pour protéger les enfants ».

Dominique Baudis, président du CSA, souhaite interdire la diffusion de films pornographiques à la télévision qui représente 950 films par mois sur le câble, le satellite. Canal+ (15 diffusions par mois) et AB groupe (chaîne XXL) ne veulent pas renoncer à la diffusion de ces films qui représente 10 % d’abonnés d’une télévision à péage. Le CSA a été interpellé par le collectif Ciem suite à la remise du rapport de recherche commandé par Ségolène Royal, ancienne ministre déléguée à la famille, et saisi par le ministère de la culture et de la communication sur le thème de l’environnement médiatique des jeunes entre 0 et 18 ans.

Résultats de la recherche : la pornographie et la violence à la télévision nuisent aux mineurs.

Des assistantes sociales consultées par le collectif interassociatif enfance, médias (Ciem) composé d’une centaine d’associations annoncent que « les perturbations induites par le visionnage de ce genre de programmes par de jeunes enfants peuvent induire des perturbations psychiques et des dérèglements de comportements analogues à ceux d’un abus sexuel. À propos de la pornographie, une industrie est en train de se développer qui banalise une image de la femme très dégradée, fait peu de cas du droit de très jeunes hommes et femmes qui y sont filmés, de leur humiliation, de leur protection sociale et du risque que cette industrie alimente des réseaux financiers illicites » Un film pornographique coûte à la réalisation que 5 % du prix d’un film traditionnel. Le véritable héros cinématographique est devenu le tueur en série présenté comme rusé et supérieurement intelligent, la violence comme la cruauté sont érotisées.

 

8) août 2002 : projet de Loi adopté par l’Assemblée nationale sur la délinquance des mineurs. On retient « une extension de la procédure du témoin anonyme qui permet de cacher aux prévenus l’identité d’un témoin et le placement en détention provisoire pour les 13-18 ans ainsi que des sanctions pour les 10-13 ans ». Ces deux tranches d’âge concernent directement la population qui agresse les femmes victimes de viols collectifs.

 

 

V - ASSOCIATIONS PARTENAIRES DE LA RECHERCHE

 

 

Collectif 13 Droits des Femmes

Le Collectif 13 est membre du Collectif National pour les Droits des Femmes créé en 1995 par la Coordination des Associations pour le Droit à l’Avortement et à la Contraception (CADAC). Le collectif 13 lutte contre toutes les formes de discrimination, d’exclusion et de pauvreté que subissent les femmes. Le Collectif 13 Droits des Femmes a été impulsé par « La marche mondiale des femmes pour l’an 2000 », les statuts du collectif 13 sont officiellement déposés en mars 2001.

 

Structures-membres du collectif 13 Droits des Femmes domiciliées à Marseille ou Aix :

- 21 associations : Association Française Femmes Diplômées de l’Université (AFFDU), Centre Evolutif Lilith (CEL), Centre d’Information des Femmes Phocéen (CIDF), Centre d’Orientation de Documentation et d’Information des Femmes (CODIF), Comité Chômeuse, Collectif des Sans-Papiers, Evreux 13, Comité féminin pour la Santé des Femmes 13, Femmes Solidaires, Forum Femmes Méditerranée (FFM), Ligue des Droits de l’Homme, Mix-Cité 13, Mouvements Jeunes Femmes, Mouvement de la Paix, Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié des Peuples (MRAP), Marseille Algérie Femmes et Démocratie (MAFED), Mouvement Français pour le Planning Familial (MFPF), SOS Femmes, SOS Viol, SCHEBBA, Ras l’front

- 2 syndicats : Confédération Générale du Travail (CGT), Fédération Syndicale Unitaire (FSU)

- 4 partis politiques : Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR), Les Verts, Parti Communiste Français (PCF), Parti Socialiste (PS).

 

Associations-membres de la commission sur « les violences sexuelles : le cas  des tournantes » créée par le Collectif 13 Droits des Femmes

 

Commanditaire de la recherche-action :

- Collectif 13 Droits des Femmes sur proposition de Judith Martin-Razi

 

Associations pour la commission « Tournantes » :

- Mouvement Français pour le Planning Familial (Mouvement d’éducation populaire)

- SOS Viol 

 

Le collectif et les associations partenaires luttent pour le changement des mentalités et peuvent se porter partie civile dans des procès concernant les violences sexuelles. La lutte contre la violence envers les femmes reprend les thèmes abordés par les ministres responsables des politiques de l’égalité des chances entre les femmes et les hommes des 15 états membres de l’Union Européenne.

 

Citons deux projets de l’Union Européenne : le programme communautaire Daphné (2000-2003) sur « la lutte contre la violence exercée à l’encontre des enfants, des adolescents et des femmes » qui constitue une base de données ainsi que le projet « réponses à la violence quotidienne dans une société démocratique » mis en place par le Conseil de l’Europe. Ce dernier intègre dans la recherche sur les différentes formes de violences « la violence discriminatoire », c’est-à-dire : le racisme, la violence fondée sur le sexe et la violence domestique, l’homophobie et la discrimination fondée sur l’âge, l’aptitude ou la religion.

 

Les thèmes abordés par l’Union Européenne relèvent au moins de quatre domaines d’action sur lesquels travaille le Collectif 13 et les associations partenaires, soit :

 

- La prévention de la violence à travers des campagnes de sensibilisation (INFORMER)

On rajoute : violence sexuelle sous toutes ses formes (publicité, pornographie), apprendre à déceler les violences et les pratiques, vulgarisation législative, formation, dénonciation.

 

- La prévention de la violence à l’égard des femmes depuis l’école (ÉDUQUER)

On rajoute également l’éducation sexuelle des garçons et des filles et la prévention par la santé

 

- La protection des victimes et la condamnation des agresseurs (PROTÉGER ET PUNIR)

On rajoute l’implication des associations de femmes dans le traitement des victimes et des délinquants

 

- Le harcèlement moral au travail (IDENTIFIER)

On rajoute l’identification d’une violence symbolique dans les rapports de pouvoir

 

- Croisement des réseaux à un niveau local, national et international (CONSTRUIRE)

On rajoute : l’implication des associations locales à des projets européens et internationaux.

 

 

VI - SIX PROPOSITIONS D’ACTION

 

 

1) Accepter que « la tournante » soit un phénomène particulier qui existe et qui relève de manière générale du traitement de la délinquance et des associations mafieuses et de manière particulière du traitement de l’exploitation sexuelle.

 

2) Se spécialiser dans le traitement de la délinquance masculine : montage de dossiers dans cette direction, création de postes « chef de projet » et « formateur » dans les associations.

 

3) Créer une commission « lutte contre la délinquance » dans chaque association luttant contre les violences faites aux femmes et une sous-commission « lutte contre l’exploitation sexuelle des mineurs ».

 

4) Proposer des séances d’informations en plus grand nombre sur le thème de « l’éducation sexuelle et l’amour partagé » aux responsables des collèges et lycées de Marseille du département et de la région en partenariat avec l’éducation nationale, la préfecture de Police, le Conseil Général et le Conseil Régional. Il s’agit de convaincre tous les acteurs de l’utilité fondamentale de ce type de formation.

 

5) Proposer une commission de travail sur « l’exploitation sexuelle des mineurs » au sein de ministères pour la création d’une délégation interministérielle.

 

6) Soutenir la création par le CSA d’une télévision sans pornographie. Le phénomène des tournantes s’inscrit dans la violence sexuelle telle que la définit le Mouvement pour l’Abolition de la Prostitution et de la Pornographie (MAPP) et toutes formes de violences sexuelles et discriminations sexistes. La pornographie comme les tournantes (forme de prostitution) font parties du domaine de l’exploitation sexuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Je tiens à remercier personnellement Le Collectif 13 Droits des Femmes.

 

 

Les membres de la commission « tournante » du Collectif

ont encouragé l’objectivité scientifique

à tous les stades de la recherche.

Le travail régulier et soutenu de la commission

a permis des conditions de travail optimums.

Mes remerciements sincères aux interviewées pour la recherche.

 

 

Béatrice SBERNA

Docteure de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales

 

 

 

 

 

 

Remerciements pour leur confiance et leur soutien financier

au Conseil Régional PACA, au Conseil Général 13 et

à la Direction Régionale des Droits des Femmes et à l’Egalité.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ÉPILOGUE

 

Le texte qui suit sort du cadre de la recherche scientifique

 

Que dire de plus sur la violence sexuelle faite aux femmes que n’ont déjà dénoncées les associations, les militantes et celles qui ne savent pas qu’elles militent pour des conditions de vie meilleures, un monde plus juste, plus humain. Rien d’autre. À moins que l’on parle de valeurs démocratiques et républicaines à défendre, de valeurs civiques à retrouver dans les décombres et du travail quotidien de milliers de petites mains, de femmes.

 

Que dire de plus sur la relation amoureuse sinon que presque plus personne n’y croit. Les romans n’invitent plus au sentimentalisme et les histoires d’amour romancées sont devenues des histoires de sexe amplifiées. Les femmes rivalisent désormais sur le terrain des hommes : corps découpés sous l’œil même pas attendri du lecteur, regard brouillé du spectateur par le zoom sur les trois orifices d’une probable extase. Gainsbourg disait « no comment », l’industrie du sexe répond par le commentaire gynécologique d’une surface décortiquée. Les grandes lèvres, les petites, le clitoris et un vagin qui n’en finit plus de grandir. Mise en scène théâtrale, épilogue de l’amour, prologue pour un substitut du plaisir, charcuté. La violence est érotisée.

 

Des jeunes filles regardent des films pornographiques, pourquoi pas. Sauf que là, elles s’initient aux plaisirs des hommes. Comment faire pour être la meilleure, comment faire pour l’attirer, comment faire pour le garder. Elles pourraient devenir de délicates amazones si elles n’étaient à un moment donné meurtries, tiraillées entre ce qu’elles rêvaient d’avoir et ce qu’elles ont. On parle d’éducation que n’assure plus la famille, on n’évoque que très peu l’absence d’une éducation sexuelle à l’amour.

 

Les filles dites tournantes existent à Marseille, comme ailleurs. Ce sont ces jeunes filles qui passent d’hommes en hommes sans autre compensation que l’espoir de trouver le bon, le dernier, le véritable amour. Elles n’inspirent ni les poètes, ni les hommes qui les font tourner comme on fait tourner une bière, un paquet de chips, un joint. Si le produit est bon, il pourra être commercialisé, la femme pourra devenir une prostituée. Carrière mirobolante pour une initiation sur le tas par de petits malfaiteurs avertis et des jeunes filles, si peu initiées au plaisir d’être aimée.

 

Certains disent que le problème n’existe pas, que le mot est importé des banlieues, qu’il n’est pas beau, que ça ne veut rien dire. Alors, pourquoi il existe ce mot ? Le mot « tournante » n’est pas beau, c’est vrai ; il est aussi laid que la réalité que subissent ces femmes murées dans le silence des quartiers. Difficile de les mettre dans des cases : entre le viol, la prostitution et la violence conjugale. On préfère la pudeur, la vision d’un autre monde, la déformation d’une réalité sociale pour une plus rapide transformation.

 

Qu’est-ce qu’on fait ? Si on refuse encore qu’elles constituent à elles seules une catégorie de l’exploitation sexuelle, on nie la réalité. On les enferme dans l’existant pour ne pas penser un autre possible, une autre réalité. Ces jeunes filles ont un terrain favorable à toutes les formes de violences sexuelles, psychologiques, morales et symboliques faites par les hommes.

 

En acceptant qu’elles existent, on peut améliorer des plans de formation en direction de jeunes garçons et filles de l’école primaire, du collège et du lycée. Juste pour prévenir et avoir un peu moins à guérir, à dose homéopathique et régulièrement administrée. Les jeunes parlent de tournantes, les adultes de viol en réunion. Ceux qui violent ne pensent pas violer, celles qui sont violées ne pensent pas être forcément violées. C’est peut-être encore une fois considérer que les adultes n’ont rien à apprendre des jeunes « de quartiers » que de vouloir comprendre le monde avec nos mots.

 

 

 

 

 

TABLE DES MATIÈRES

 

 

 

Préambule

 

Introduction

 

I - Une définition du phénomène de la tournante

1         Une entrée par le viol

a) Prise en compte d’un système mafieux

2         Une entrée par la prostitution

      a)  L’inconnue financière et le rapport au territoire des victimes

              3    Une entrée par la violence conjugale                                                                     

      a) la pluralité des partenaires et un élargissement du terme « conjugal »

              4    Retour sur les formes de violences énoncées,                                                           

pour une définition du phénomène

 

II - Une sociologie de la violence

1    La victimisation

2    La domination symbolique,

conditionnement psychologique et pornographie

 

III - Une sociologie de la jeunesse marginale

 

IV - Chronologie de la recherche

V -  Associations partenaires de la recherche                                         

 

VI - Six propositions d’action

 

Remerciements

 

Épilogue

 

Table des matières

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Commission Nationale Contre les Violences Envers les Femmes, Le système de la prostitution : une violence à l’encontre des femmes, mars 2002, p. 21. Manifeste « Le corps n’est pas une marchandise ».

[2] SOS Femmes, Action pour une extension de la circonstance aggravante dite de « violence conjugale » remis à la Députée Christine Lazerge pour l’Assemblée Nationale, août 2001.

[3] Nos références théoriques sont principalement extraites des travaux de Pierre Bourdieu à L’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Voire chez l’Harmattan, collection Logiques Sociales, 2002, Béatrice Sberna « une sociologie du rap à Marseille » (sur les conditions d’existence du phénomène, doctorat de l’E.H.E.S.S.).

[4] Position adoptée par la philosophe Geneviève Fraisse lors du débat sur les femmes et l’Universalisme proposé par SOS Femmes en mars 2002 (voir synthèse).

[5]. « Connaître les modes de vie et de consommation des jeunes », Paris, Colloque Européen, 26-27 septembre 1991, au sujet de la question identitaire chez les publics jeunes.