Commission sur les violences sexuelles faites aux
femmes
du Collectif 13 Droits des Femmes
Siège social : 13, bd. des Frères Godchot - 13005
Marseille
LE PHENOMENE DE LA TOURNANTE
RAPPORT DE RECHERCHE-ACTION : L’EXEMPLE
MARSEILLAIS
Chercheuse : Béatrice SBERNA
Commanditaire : Collectif 13 Droits des Femmes
Avec le soutien financier de :
Conseil Régional, Délégation aux Droits des Femmes du
Conseil Général, Délégation Régionale aux Droits des Femmes et à l’Egalité.
PREAMBULE
C’est l’histoire réelle d’une jeune fille de 15 ans
qui habite dans un quartier du 15ème arrondissement de Marseille.
Elle a fait pour la première fois l’amour avec un homme de 6 ans son aîné. De
jeune adolescente, elle est devenue femme, transition dans le monde des adultes
que l’étape de la défloraison inscrit irrémédiablement dans l’histoire
particulière de chacune des femmes. On se souvient ; on en parle
pudiquement avec douceur, effroi ou malaise mais toujours avec en tête que
c’était la première fois. Avant il y avait le rêve, le scénario que l’on a
toujours eu en tête et qui s’est affirmé au fil des ans. Il sera ce prince
charmant ou cet inconnu qui partira sur la pointe des pieds pour laisser la
place au grand amour, le vrai, celui que l’on a imaginé. Après, c’est
différent. On essaie de coller le rêve à la réalité ou d’imaginer une réalité
en fonction des rêves que l’on s’est fabriqués.
Cette jeune fille devenue femme s’est donnée à cet
homme, le premier. Le don de soi est l’une des composantes de l’histoire des
premières amours, composante qui s’analyse peu faute d’être prise au sérieux
par l’analyse scientifique, politique ou judiciaire. Généralement,
l’observation rigoureuse des pratiques retient de l’histoire amoureuse entre
deux personnes la relation sexuelle et non pas le fait d’aimer ou d’avoir aimé.
État difficile à prendre en compte, subjectivité d’une action (aimer) qui
repose autant sur l’imaginaire que la réalité. C’est quoi l’amour ?
Effeuiller une marguerite (un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du
tout), l’idée d’une vie meilleure (à deux c’est plus facile), le cœur qui bat
plus vite (je sens que c’est lui ou elle), les pupilles qui se dilatent (j’ai
envie) ? Une histoire à deux qui pourrait commencer, une relation intime
entre deux personnes.
Ce que les contemporains de l’analyse nomment
« sérieux » concerne le déroulement de l’action, le contexte de
l’énonciation, la présence et l’absence des acteurs, le nombre des acteurs et
le type d’interactions. En cas de litige, de conflit ou de violence, l’amour
n’est ni quantifiable ni défendable.
Le fait que cette jeune fille aimait cet homme n’est
pas un critère pris en compte par les autorités assermentées. On veut savoir
s’il y a eu sodomie forcée, le nombre de fellations imposées et les autres
pénétrations non désirées. Combien ? Avec qui ? Où ?
Quand ? Comment ? Elle voulait ou elle ne voulait pas ? Si elle
ne voulait pas, pourquoi elle a accepté des relations avec des hommes qui le
lui imposaient ? Elle avait des rendez-vous, non pas des rendez-vous avec
son amoureux, mais des rendez-vous avec des hommes qu’elle ne connaissait pas
dans des hôtels, des caves et des cages d’escaliers. Elle allait à ces
rendez-vous et elle ne gagnait pas d’argent ; lui, elle ne sait pas. Elle
est juste sûre d’une chose : elle ne comprend pas ce qui s’est passé.
C’était son premier homme, elle avait confiance, il l’a trahie. Elle a eu peur
d’avoir le sida, alors elle a fait un test. Il était négatif. Elle l’a dénoncé,
a porté plainte ; ils ont recueilli les informations, elle a déménagé.
Elle a quitté son quartier pour tenter de refaire sa
vie. C’était sa première histoire d’amour.
INTRODUCTION
Le terme de « tournante » laisse perplexe un
certain nombre de femmes et de féministes.
Nous avons pris le parti dans cette recherche
d’adopter le point de vue des agresseurs pour mieux comprendre le phénomène. Le
terme « tournante » existe dans le langage courant, donc il signifie
« quelque chose » de particulier. L’usage du mot est significatif d’un
état d’esprit qui permet de décrire le phénomène, donc un ensemble de contextes
qui créent les conditions d’existence de ce phénomène. Nous entendons par
phénomène un type d’action qui met en présence des acteurs, des réseaux, des
conduites et des motifs qui poussent les auteurs à agir. On sait que la
recherche des raisons qui poussent les auteurs à agir permet de rendre un objet
d’étude singulier, donc spécifiquement rattaché à des pratiques propres à un
groupe d’acteurs qui ont en commun de partager une certaine vision du monde à
un certain moment donné de leur histoire de vie. Il nous appartient de trouver
le contexte général auquel le phénomène se rattache et de délimiter le champ
d’action qui rend ce phénomène particulier. Le fait de nommer une action et des
acteurs est significatif d’une prise de position sur le monde ; le fait de
prendre en considération la nomination « tournante » permet de faire
un état d’une société.
Ce que les auteurs d’une tournante désignent
communément par « tournante » est le fait de « faire
tourner » une femme entre différentes bandes d’hommes, au gré de leur bon
vouloir, comme on fait tourner un joint de façon conviviale entre différents
individus invités à un moment festif. Car il s’agit bien, pour les agresseurs,
d’un moment de fête au cours duquel une femme devient un objet déshumanisé, une
marchandise qui n’appartient plus à personne, un service rendu qui devient le prétexte
à se rencontrer, entre hommes, pour une histoire d’hommes. Cet objet s’échange,
se prête, se négocie et enfin se rejette. Il redevient personna lorsque
la femme décide de sortir du jeu, c’est-à-dire le jour où elle dit non, donc le
jour où elle retrouve son identité de femme.
Le phénomène de la tournante est complexe : il
croise les variables que sont le viol, l’exploitation sexuelle (prostitution et
pornographie) et la violence conjugale. Une femme subit physiquement et
psychologiquement un viol collectif ; dans le phénomène de la tournante,
la violence froide (psychique) est au cœur du dispositif permettant au
phénomène même d’exister. La violence psychique faite par un homme à une femme
devenue tournante est suffisamment forte pour que la femme accepte de se rendre
à des rendez-vous, avec d’autres hommes, alors qu’elle sait pertinemment
qu’elle subira des violences sexuelles. Elle n’est pas rémunérée, ni séquestrée
mais manipulée à petites doses de façon régulière et calculée. La plus grande forme
de manipulation est l’amour, lorsqu’il devient pervers ; la plus grande
forme d’acceptation est la peur. Des hommes disent qu’une femme devient
tournante parce qu’elle est « facile » et qu’elle « aime
ça » ; elle répond que si « elle l’a fait » c’est qu’elle
avait confiance, qu’elle ne savait pas et que maintenant elle a peur.
On peut considérer que la femme dite tournante est une
femme qui a été violée dans la mesure où elle a été forcée par un tiers à
adopter un certain type de comportement sexuel, comportement qui se caractérise
par le fait d’avoir intégré un réseau dont le premier violeur ou amant (dans le
cas d’une situation de non-viol au départ) a été l’initiateur de l’histoire qui
a rendu une femme « tournante ».
On « est » violé alors qu’on
« devient » tournante, cette distinction entre le fait d’avoir subi
un acte ponctuel même à répétition et celui d’entrer dans un processus évolutif
qui intègre la notion d’exploitation sexuelle (réseau de malfaiteurs,
commercialisation du viol) caractérise le phénomène de tournante. Une femme qui
est violée peut ne pas être une tournante, une femme dite tournante est une
femme qui a été ou est violée.
Le viol est un des éléments de l’histoire de la femme
dite tournante, en aucun cas le fait d’avoir été violée résume l’histoire de la
femme devenue tournante.
Commençons par répertorier les différentes formes de
violences faites aux femmes. Plus qu’une énumération, ce court répertoire est
construit de façon pertinente, c’est-à-dire qu’il résulte d’une confrontation
de concepts entre l’existant en matière de violences faites aux femmes et
l’objet d’étude « tournante ». En ce sens, les différents domaines
abordés ne sont pas exhaustifs. Un premier filtre est posé : celui des
violences sexuelles. Elles ne suffisent pas à elles seules et de manière isolée
à décrire le phénomène mais le croisement de chacune d’elle, à des dosages
différents, permettra ultérieurement de délimiter le phénomène.
I - UNE DÉFINITION DU PHÉNOMÈNE
« TOURNANTE »
1 - UNE ENTRÉE PAR LE VIOL
Nous savons que la plupart des femmes violées,
c’est-à-dire qui ont vécu une relation sexuelle forcée sous la contrainte
physique et/ou psychologique, ont ou « ont eu » la plupart du temps
et à un moment donné une relation affective avec l’agresseur que ce soit le
mari, l’amant, le copain, l’ex ou un membre de la famille.
Le lien privilégié avec au moins le premier agresseur
caractérise ce que nous nommons « la tournante », il détermine
l’existence même du phénomène. La femme dite tournante accepte la première
relation sexuelle avec le premier homme qui la contraint par la suite à avoir
des relations sexuelles avec d’autres hommes qu’elle ne choisit pas. Cette
première relation est fondamentale, elle est le déclencheur de la suite des
événements qui construit l’histoire cette femme. Le bon déroulement de la
première relation influence l’effet de domination qui s’installera par la
suite, au détriment de la femme. Si la relation avec le tout premier partenaire
se passe bien (rapport non-violent, instauration d’un climat de confiance,
création d’un lien affectif) et dans le cas où cet homme proférerait une
intention de faire passer la femme au mode de tournante, les probabilités pour
que l’opération réussisse dans la durée sont grandes. Dans ce cas, la création
du phénomène dont l’auteur est l’agresseur ne nécessite pas, du moins au
départ, l’instauration d’une relation de violence. Les relations forcées avec
d’autres hommes s’effectueront soit sous le contrôle du premier, soit sous la
responsabilité d’un autre. Dans ce dernier cas, on constate une passation de
pouvoir effectuée au détriment de la femme et sans son consentement. La femme
n’est plus un sujet autonome, elle devient une marchandise dont la valeur
fluctue au gré d’un marché du sexe soumis aux contraintes de l’offre et de la
demande. Ne considérer « que » le viol dans le cas de la femme dite
tournante revient à évacuer du phénomène un grand nombre de paramètres.
a) la prise en compte d’un système mafieux
Le système de relations qui régit le phénomène relève
de l’organisation mafieuse. La femme dite tournante est un des éléments qui
permet à un homme, auteur de l’événement, d’obtenir ou de conserver une
position privilégiée au sein d’un environnement déterminé. Sa responsabilité
s’exerce auprès des hommes (il doit les satisfaire), elle est nulle lorsqu’il
s’agit de la femme (elle doit obéir). Dans les deux cas, il instaure un rapport
de domination : domination symbolique auprès des autres membres du milieu,
domination physique et psychologique pour contraindre la femme. Il est pour les
uns chef charismatique et pour la femme sujet violent. La contrepartie qu’il
obtient des hommes est au moins une reconnaissance morale et/ou concrète.
Ce type d’organisation est basé sur la loi du silence,
un système de répression violente et la difficulté pour la victime de
s’extraire du milieu. Enfin, l’une des contraintes sous-jacentes au
fonctionnement d’une organisation mafieuse est de réaliser « le plus
souvent » des opérations discrètes qui n’attirent l’attention ni des
médias, ni des responsables politiques et/ou associatifs d’un quartier, d’une
ville ou d’un État. En ce sens, on peut penser que le fait de « faire
tourner » une femme entre les membres d’un même groupe liés entre eux par
une appartenance territoriale, des activités communes ou au moins des objectifs
similaires est une façon très discrète de faire perdurer l’existence d’un
milieu. Pas de transaction financière évidente, acceptation apparente de la
femme et loi du silence. Les opérations s’effectuent à partir des quartiers
dans lesquels sont recrutées les futures femmes dites tournantes.
Si le viol existe, le phénomène est caractérisé par
l’exploitation sexuelle. Si on retient la notion de viol, le terme de
« commerce du viol » est plus adapté à ce phénomène.
2. UNE ENTRÉE PAR LA PROSTITUTION
Dans ce cas, la femme est de la même manière abusée.
La violence physique peut être remplacée par un conditionnement psychologique
l’incitant à agir contre sa volonté. Le fonctionnement en réseau de la
prostitution ressemble au réseau dans lequel évolue la femme dite
tournante : il est organisé et hiérarchisé. Le leader délinquant introduit
la victime dans cette organisation et contrôle le « bon fonctionnement »
des activités.
Il agit de la même manière qu’agit un proxénète. Il
est difficile de savoir si ce dernier obtient une contrepartie financière de la
part des autres agresseurs en échange des prestations sexuelles de la femme.
Une contrepartie existe, elle est au moins symbolique, elle a les mêmes
caractéristiques que celles de la violence froide ; elle est silencieuse,
invisible au commun des mortels, donc quasi impossible à prouver vis-à-vis des
autorités compétentes en matière de maintien de l’ordre public. Elle ressemble
à un échange de services. Les jeunes femmes qui deviennent des femmes dites
tournantes sont instables psychologiquement et vivent des situations
économiques et affectives précaires : elles sont une proie idéale au commerce
du sexe. Il est fort peut probable qu’elles reçoivent en retour quelque chose
de bénéfique pour elles, c’est-à-dire qui tendrait à modifier positivement
leurs conditions de vie.
a) L’inconnue
financière et le rapport au territoire des victimes
On l’a évoqué : dans le système d’organisation
qui prévaut dans l’étude du phénomène, la contrepartie financière n’est pas
connue. Un autre fait à prendre en considération est le rapport au territoire
des acteurs victimes. Les femmes devenues « tournantes » habitent et
exercent les pratiques sexuelles principalement dans leur milieu de vie alors
que les prostituées sont la plupart du temps exportées de leur territoire
d’affiliation (changement de quartier, de ville et de pays). Pour échapper à
cette organisation, la femme dite tournante doit changer de domicile. Les
pratiques s’effectuent dans des lieux publics et dans des lieux privés
difficilement repérables : ce ne sont pas les sex-shops, les peep-shows,
ni les salons de massage, ni les bars, ni les clubs échangistes, mais les
hôtels sans étoiles, les caves, les espaces verts, les voitures et les
toilettes d’un établissement scolaire. Il existe un système de hiérarchie
marchande pour les acteurs qui pratiquent l’exploitation sexuelle sous la forme
de la prostitution : le prix de la femme est fonction de la nature de sa
prestation et de la valeur esthétique du sujet exploité, dans ce contexte
particulier. La valeur marchande de la femme dite tournante dépend plus de son
aptitude à « accepter » puis à prolonger dans le temps son
exploitation. Plus que la prostitution, l’exploitation sexuelle est un
indicateur pertinent pour l’analyse des mécanismes régissant le phénomène.
L’exploitation sexuelle inclut le harcèlement sexuel,
le viol, l’inceste, la violence domestique, la pornographie et la prostitution[1].
Le commerce du viol est une exploitation sexuelle,
l’exploitation sexuelle sans contrepartie financière peut conduire à des
conduites prostitutionnelles. Dans ce sens, les deux variables
« viol » et « exploitation sexuelle » ont une valeur
incitatrice : elles préparent le terrain de la prostitution telle qu’elle
est définie généralement par le code pénal.
3. UNE ENTRÉE PAR LA VIOLENCE CONJUGALE
L’histoire est connue des associations qui s’occupent
des violences conjugales. Au départ il y a l’amour entre deux partenaires puis,
plus ou moins rapidement, s’installe un processus évolutif au cours duquel
le lien privilégié se transforme en un rapport de forces qui porte préjudice à
la femme.
Les deux sujets auparavant autonomes deviennent une
victime et un agresseur, la relation amoureuse évolue vers une prise de
pouvoir, une relation de domination s’installe. Ils faisaient l’amour,
ensemble, maintenant elle lui appartient parce qu’il lui fait l’amour comme il
l’entend. Dans un climat de secret et de silence, la sphère privée devient le
lieu de l’enfermement, de la soumission, des combats de survie qui s’effectuent
au détriment de la femme. Elle meurt petit à petit psychologiquement, elle se
détériore physiquement, elle n’est plus un sujet mais un objet que l’homme
s’est approprié. L’acte de soumission obligé est par excellence le viol
conjugal systématique. Il obtient par la force des bénéfices sexuels,
économiques et/ou symboliques. Il contrôle toutes ses actions, il ne se sent
pas responsable : il pense avoir tous les droits sur elle et uniquement
sur elle. Elle est sa propriété, son jouet, son pushing ball, une partie de
lui. Il la modèle à ce qu’il aimerait qu’elle soit et lorsqu’elle ne se conforme
pas à cette figure idéale, il devient violent ou au mieux amer, déçu qu’elle
n’y parvienne pas. Il a placé tous ses rêves de puissance en elle, il a investi
toute son énergie pour détruire ce qu’il n’aimait pas ou plus chez elle. Il y
est arrivé, elle est devenue soumise et comme elle est soumise, il devient
encore plus violent. Il repousse ses limites (à elle) pour obtenir encore plus.
Elle culpabilise. Étrange réponse de la victime à l’agresseur, elle s’en veut
de ne pas être à ses yeux parfaite. Elle pensait pouvoir le changer. De
l’amour, elle est passée à la haine, puis à la peur. Elle a peur des
représailles. Si elle dit non ou si elle part, il peut la tuer, elle peut se
suicider.
a) la
pluralité des partenaires et un élargissement du terme « conjugal »
Dans la violence conjugale, la domination provient d’une relation sur le mode de la fusion entre deux individus. Le « tu m’appartiens » de l’homme adressé à la femme ne peut être que sur le mode du binôme et en sens unique. Il ne la prête pas, ne l’échange pas, ne la fait pas « tourner ». L’angoisse qu’elle puisse avoir des relations sexuelles avec un autre homme est l’élément moteur de l’existence même de cette forme de violence. La femme dite tournante, si elle peut appartenir symboliquement à un homme, est échangée et prêtée à d’autres. L’existence même du mot tournante inclut le fait de devenir une marchandise échangée entre des hommes. Si le résultat est similaire entre une tournante et une femme qui subit des violences conjugales (l’instinct de propriété) de la même manière que l’objet de la relation (l’appropriation de l’identité d’un sujet), les intentions des agresseurs sont différentes : dans le cas de la violence conjugale, la femme est happée par l’homme (elle lui appartient physiquement) ; dans le cas de la tournante, la femme est éjectée vers d’autres hommes (elle n’appartient à personne).
Dans le premier cas, l’homme importe la femme dans son
« moi » (relation de fusion) ; dans le deuxième, elle est
exportée vers d’autres espaces, d’autres corps, d’autres fantasmes. Si on
insère au terme de conjugal la relation affective privilégiée au moins de
départ et la multiplicité des partenaires, la forme de cette violence peut
s’inscrire dans le phénomène de la tournante.
À propos de la notion de conjugale, l’évolution sociale des situations « à
deux » autorise une redéfinition du terme propre à signifier l’existence
d’un lien affectif entre deux personnes, pendant une durée indéterminée, et
quel que soit le mode de relation qui construit ce lien. En d’autres termes,
les codes juridiques qui unissent culturellement un homme et une femme ne
peuvent plus à eux seuls signifier le fait de vivre une relation conjugale. En
dehors du mariage, du concubinage et du pacs, il nous paraît indispensable de
penser la notion de conjugal en fonction d’une autre réalité sociale, à savoir
la non-résidence commune des deux partenaires. À titre d’exemple, SOS Femmes
(Marseille) a entamé une procédure auprès des instances judiciaires et
parlementaires pour redéfinir la notion de conjugalité dans le but de combler
les lacunes pénales dans l’hypothèse où deux personnes ne vivent pas ensemble[2].
L’association se base sur le constat d’une recrudescence des violences
conjugales sur des populations féminines jeunes vivant au domicile des parents
et sur des femmes en situation de rupture de lien affectif avec leur ex
partenaire et en situation de précarité. Il conviendrait de penser une nouvelle
forme de conjugalité sachant que le terme juridique de « conjugal »
ne peut être redéfini que si les acteurs de terrain s’approprient les sens du
mot dans les discours relevant des pratiques en cours, dans les domaines aussi
bien privés que publics. De la même manière que l’utilisation du mot
« tournante » relève d’une réalité des pratiques que nous instruisons
ici, les significations du mot « conjugal » évoluent avec les pratiques
en cours dans une société. À mon sens, le phénomène de tournante relève aussi
du domaine des violences conjugales.
Compte tenu de la proposition d’un nouveau sens à
affilier au mot « conjugal », qui est à discuter dans un premier
temps au sein des mouvements associatifs en faveur des femmes, puis à un niveau
politique et parlementaire ; il apparaît que l’existence d’un lien
affectif, pendant ou avant les violences exercées à l’encontre de la femme,
caractérise la plus grande partie des situations propre au phénomène de la
tournante. Elles entrent aussi (en partie ou entièrement) dans les catégories
du viol et de la prostitution.
4. RETOUR VERS LES FORMES DE VIOLENCES ÉNONCÉES
Pour une définition du phénomène de tournante
Les trois variables (viol, prostitution et violence
conjugale) ont permis de décrire et de hiérarchiser des contextes propres à
déterminer l’existence du phénomène de la tournante. La hiérarchie des
contextes proposée ci-après tient compte des rapprochements pour une définition
la plus précise possible du phénomène.
Le premier contexte est celui qui propose le plus de
limites au phénomène dans le sens où il inclut le plus petit nombre de
paramètres, le dernier est celui qui peut englober les autres formes de
violences sexuelles que l’on vient d’énoncer. Le premier contexte est le viol
(élargi au commerce du viol), le deuxième la violence conjugale (élargi à la
relation affective) et le troisième la prostitution (élargi aux formes connues
de l’exploitation sexuelle). Le contexte de l’exploitation sexuelle est le plus
large, celui qui peut inscrire le phénomène dans sa globalité sans risquer de
« perdre » un élément important de la définition du phénomène de
tournante. Il inclut le viol, la prostitution et la violence conjugale. Ceci
étant posé, revenons maintenant aux formes de violences énoncées.
Retour vers le 3 : par rapport à la violence conjugale.
La relation affective entre deux partenaires est la
plupart du temps le déclencheur de l’histoire d’une tournante. Du mode amoureux
(climat de confiance) les partenaires passent au mode pervers (rapport de
force), le glissement s’effectue lors du passage entre le rapport égalitaire et
le rapport de domination au détriment de la femme. Le climat de confiance a préparé
le terrain de la violence et « l’acceptation » de la part de la
victime du rôle de victime.
On retient de la violence conjugale le rapport de
confiance vis-à-vis du futur agresseur.
Retour vers le 2 : par rapport à la prostitution
Il convient de retenir la notion d’exploitation
sexuelle comme domaine qui relève des violences faites aux femmes en général et
des violences faites aux femmes dites tournantes en particulier. Dans le cas de
la tournante, la femme est utilisée comme intermédiaire privilégié entre des
hommes Le fait d’insérer une femme dans un réseau d’hommes, demandeurs ou
acceptant ce type de pratiques dénué de tout contexte affectif, permet à
l’homme qui a créé le phénomène de la tournante de réguler les échanges à
l’intérieur du réseau et entre l’extérieur et l’intérieur. La femme a une
valeur d’échange, à des fins sexuelles. Un réseau s’approprie une femme qui
devient la victime d’une organisation clandestine. Les violences sexuelles sont
une des conséquences de cette forme d’échange, la fin étant la création ou le
maintien d’un réseau.
On retient de la prostitution l’une des formes
possibles de l’exploitation sexuelle
Retour vers le 1 : par rapport au viol
Au regard du phénomène de la tournante, le viol est un
des éléments qui permet de considérer la femme comme victime d’une agression
sexuelle. Nous utilisons une métaphore qui devrait permettre de comprendre en
quoi le fait de limiter le phénomène au viol serait restrictif. La femme dite
tournante peut être comparée à une blessée qui se rend à l’hôpital : elle
a mal, mais rien ne saigne. Elle n’a pas mal quelque part en particulier mais
de partout à la fois, en même temps. Seul un généraliste pourra prendre en
compte les multiples facettes de ses blessures, un gynécologue (donc un spécialiste)
traitera l’aspect purement féminin (génital) de son mal. La société est friande
de spécialistes qui résument les problèmes à un problème, les aspects d’une
question à une question, les déterminants d’un phénomène à un déterminant. De
cette manière, tout peut être résumé et classé dans une catégorie connue par le
spécialiste sur la question qui traitera d’un problème, l’objectif étant qu’il
n’y ait qu’une grande question pour au final n’avoir à régler qu’un problème.
À titre d’exemple, l’organe des Renseignements
Généraux du ministère de l’Intérieur gradue sur une échelle de 1 à 8 les
« indicateurs de la violence dans quartiers sensibles » du moins
important au plus important. L’échelle est définie par rapport aux formes de
violence contre ce et ceux qui symbolisent l’autorité. En ce sens, la violence
étudiée est relative à une violence envers l’institution et les actions des
représentants de l’autorité varient en fonction du degré auquel appartient la
violence recensée. Les viols collectifs font partie du premier degré au même
titre que les vols à l’étalage, la dégradation de biens et les bagarres. Si les
degrés augmentent en fonction de l’aspect collectif (le huitième concerne
l’émeute), le viol collectif relève toujours de la sphère privée et intéresse
au premier degré sur huit les autorités. Autre fait significatif concernant le
régime de la France en matière de législation sur la prostitution : il est
abolitionniste. Si la prostitution est considérée comme un fléau social, elle
est aussi « une affaire privée » dont la prostituée est l’une des
victimes.
On retient du viol la commercialisation du viol
Vers une conclusion
Si on décide que la femme dite tournante est à classer
dans la catégorie du viol, son traitement institutionnel relèvera des violences
mineures parce qu’elle ne perturbe pas l’ordre public (selon les R.G.). Si le
phénomène de la tournante est rattaché aux domaines de l’exploitation sexuelle
et du crime organisé, le phénomène pourra être pris en compte à un niveau plus
important parce qu’il s’agira d’une atteinte à l’ordre public. Le traitement du
phénomène de la tournante est celui du traitement de la violence et plus
spécifiquement de la petite, moyenne et grande délinquance.
Seuls le proxénétisme et le racolage sont véritablement
définis comme un délit puni de peines d’emprisonnement. On constate que la
législation française s’intéresse principalement aux acteurs de la violence qui
peuvent perturber l’ordre public. La victime lorsqu’elle est principalement une
femme (ou un enfant) fait pleurer « la pauvre, elle a dû souffrir »,
ou parler d’elle « regardez comme elle souffre ». Le principe étant
dans le cas des violences faites aux femmes de privilégier le processus connu
de victimisation d’un groupe social qui relègue dans ce cas un problème de
« condition de femmes » à « une affaire de femmes » à
régler principalement entre femmes.
Un positionnement du côté des auteurs de la violence
nous paraît, au regard de la législation française, plus opportun. La femme
dite tournante devient alors un phénomène social lié à la délinquance urbaine
et non plus une affaire de viol qui relève des affaires sociales, du domaine de
la santé et des associations de femmes.
II - UNE SOCIOLOGIE DE LA VIOLENCE
Dans toutes les définitions proposées sur la violence,
le rapport de force et de domination qu’exerce un individu (l’agresseur) sur un
autre (la victime) est le fait principal qui caractérise ce type d’agression.
On évitera de décrire le phénomène dont les conséquences sont largement
inscrites dans les rapports psycho cliniques des professionnels de la santé
repris par les institutions et les responsables des associations qui luttent
contre les violences faites principalement à l’encontre des femmes.
Une sociologie pratique de la violence s’occupe
principalement de comprendre, du point de vue des stratégies sociales, comment
une situation de violence peut exister à un moment donné et de quelle forme de
violence il s’agit[3]. L’individu
est observé dans un réseau d’échanges et non en tant qu’individualité (approche
plus psychologique). Ce type de sociologie prend en compte les acteurs d’une
violence qui occupent une relation directe ou indirecte avec la victime, les
interactions entre ces acteurs et le système qui rend possible cette situation
de violence. Il s’agit de mettre en évidence des effets de structures qui
autorisent et rendent possible le coup de force, la violence symbolique, le
conditionnement psychologique. Chaque acteur est considéré comme étant
l’élément d’un rouage dont il faut démanteler les mécanismes. La première étape
du travail consiste à repérer les acteurs et le rouage puis à trouver le
mécanisme.
Nous retenons dans l’explication de la violence la
notion d’altérité propre à la construction de n’importe quelle organisation
sociale. La violence existe parce qu’elle est tournée vers cet autre qui
devient, au moment de l’acte violent, l’objet de transfert de sa propre
souffrance.
Un homme violent est un homme privé de quelque chose
qui lui paraît essentiel : il ne peut l’obtenir dans des relations
égalitaires parce qu’il est ou se sent en position d’infériorité et parce que
l’autre détient « cette chose » qu’il ne veut pas ou ne peut pas lui
donner. En ce sens, le vol, le vandalisme ou le terrorisme signifient la prise
de conscience physique, économique ou politique du manque. De la même manière,
le viol est une prise de conscience de l’incapacité à obtenir de l’autre la
satisfaction de son propre désir.
1 - LA VICTIMISATION
La victimisation est un procédé qui consiste à rendre
noble, donc héroïque, le statut de victime. Le procédé tend à désengager la
responsabilité d’un groupe social (ethnique, biologique, etc.) dans le but de
désigner un coupable pour obtenir une réparation. Le groupe est alors
stigmatisé comme étant « dominé » et victime d’un autre groupe ou
d’une situation dont il n’est pas ou peu responsable des agissements. C’est
l’éloge de l’opprimé qui prime dans le discours.
La théorie sur la victimisation peut rendre visible un
rapport de domination que le discours au profit des plus faibles parvient à
masquer. Elle est intéressante dans la mesure où elle permet de démanteler des
techniques sournoises de domination. Le fait de victimiser une communauté
ethnique, sexuée, ou politique peut être une stratégie de domination consciente
ou inconsciente mise en place par le groupe qui victimise en direction de la
communauté désignée. C’est l’effet connu du miroir (image inversée) ou la
technique qui consiste à regarder l’ombre que produit la lumière. La technique
de domination (sournoise) consiste à placer les responsables d’institutions
dans une position de protecteurs des femmes victimes. On sait que le fait de
protéger induit un rapport de domination dans le sens où le plus fort porte
secours au plus faible en échange de sa soumission ou du moins de quelque chose
dont le plus faible est porteur et qui manque au plus fort.
En ce qui concerne la violence faite aux femmes, on
peut tenter de décrire le processus violent en essayant de démanteler le
système qui permet l’existence du tandem victime-coupable. La violence peut
engendrer du plaisir pour l’agresseur dans la mesure où la victime et
l’agresseur se conditionnent mutuellement. Une situation égalitaire entre deux
partenaires laisse progressivement la place à une relation de domination. Dans
ce dernier cas, la présence d’une victime et d’un agresseur devient alors
effective et bien réelle. Une séquence du film cinématographique Baise-moi
de Virginie Despentes illustre l’idée de « conditionnement mutuel ».
Deux hommes sont en situation de violer chacun une femme, toutes les deux
réunies dans un même lieu : la première femme résiste, elle est violée.
L’homme est manifestement satisfait : il a pu exercer son rapport de
domination. Il devient l’agresseur parce qu’elle est devenue la victime. La
deuxième femme ne résiste pas : elle lui dit « baise-moi ». Dans
les deux cas, les femmes ont été victimes d’un viol, mais de façon rationnelle on
constate que, dans le premier cas, le viol a eu lieu dans sa forme physique et
psychologique alors que, dans le deuxième, il a échoué dans sa forme totale.
Le rapport de domination symbolique a été inversé par
l’action de la femme. Même si elle a été violée, elle devient actrice active de
la scène. Elle est victime de la situation mais par son discours, elle a pu
renverser le rapport de force. La jouissance que l’agresseur voulait obtenir
par la violence n’a pas eu lieu.
La violence sexuelle est la première forme de violence
faite à l’Institution dans la mesure où elle est le signe le plus primaire et
troublant d’une transgression des règles régissant un ordre social.
Au sein des mouvements féministes, il existe à peu
près deux types de combats, orientés vers la même fin, à savoir l’amélioration
des conditions de vie des femmes : le premier adopte une position sexuée
(voire genrée), le deuxième attribue aux femmes le rôle de porteuse d’un
Universel[4].
Dans le premier, le risque est d’enfermer les femmes dans une vision du monde
de type communautariste ; dans le deuxième, le risque est de ne pas
prendre en compte la situation particulière des femmes. La solution se trouve
peut-être dans le fait de proposer des solutions à la problématique de la
violence en pensant des stratégies de prévention contre toutes les formes de
délinquance envers les femmes, les enfants et les hommes. Le regard de femme
devient alors une expertise sur le monde au moment où à peu près tous les
regards d’hommes sur le monde ont été épuisés, en vain. La révolution sexuelle
pour les femmes a préparé la révolution intellectuelle des femmes.
Dans le cas de la violence effective faite aux femmes,
le fait que des institutions majoritairement composées d’hommes instruisent et
défendent des dossiers sous l’appellation d’une violence faite « aux
femmes » contribue à ce que les femmes soient catégorisées dans un système
qui laisse perdurer un possible rapport domination hommes-femmes et
l’installation définitive des femmes dans le statut de victimes.
2 - LA DOMINATION SYMBOLIQUE
La violence est la caractéristique d’une frustration.
L’agression est directement tournée contre la source de la souffrance qui
devient la victime de l’acte violent. Un individu qui se trouve une raison
valable pour agresser un représentant de l’ordre public a un problème par
rapport à l’autorité, le représentant de l’ordre public est un signifié (une
représentation symbolique). De la même manière, un individu qui est violent
envers une femme à un problème par rapport aux femmes. Il exerce son rapport de
domination par la force physique. Le « travail » sur cet individu consisterait
à considérer la réalité de son problème dans le but de tenter d’annuler le
processus de transfert. Dans le cas d’une violence sexuelle exercée par un
homme à l’encontre d’une femme, la femme est le signifié du manque.
On peut ajouter aux caractéristiques connues de la
violence le conditionnement psychologique qui prépare l’agression ou
l’annule. Dans le cas d’une manipulation réussie, c’est-à-dire lorsque la
personne demandeuse d’un service obtient satisfaction, l’agression n’est pas
utile. La victime de cette manipulation aura l’impression d’être consentante ou
libre acteur de la situation, qu’il s’agisse de regarder un film pornographique
ou de pratiquer l’échangisme versus classes favorisées (dans un salon
privé) ou tendance classes populaires (dans une cave). Le résultat n’en sera
que plus efficace dans la mesure où l’exercice de la force n’aura pas été
utile. Le conditionnement inscrit la violence dans le long terme, elle pourra
être répétée et programmée puisqu’il y aura « acceptation » de la
victime tant que le lien n’est pas rompu. On arrive à un point central de la
domination symbolique : parvenir à ce que l’individu qui subit un acte
violent physiquement ou psychologiquement n’ait plus l’occasion de se rebeller
parce qu’il croit injustement que l’initiative vient de lui. Sa fuite
annulera, de façon évolutive, le conditionnement donc le rapport de domination.
Les associations « pour les femmes » évoquent le départ de la victime
du processus de violence comme la condition sine qua non de la possible
reconversion du sujet victime en sujet auteur de sa propre vie.
Le choix de partir est non seulement difficile mais
dangereux : il signifie l’échec de la prise de pouvoir donc la rébellion
du sujet qui agresse ou/et conditionne son partenaire.
L’éducation est un des point central de la
prévention ; l’éducation sexuelle et amoureuse des jeunes devrait être un
des points fondamentaux de « la lutte contre la violence faite aux
femmes » et de la lutte contre la violence en général. La pornographie
fait malheureusement office d’éducation sexuelle, mais une éducation qui est
résolument du côté de la violence.
Des femmes disent qu’elles aiment regarder ce genre de
film avec leur partenaire sexuel. Lorsqu’on leur demande qui a eu l’idée de
regarder « la première fois » et « à deux » un film
pornographique, elles répondent pour la quasi totalité « mon compagnon ».
On obtient les mêmes réponses lorsqu’on questionne des femmes qui pratiquent l’échangisme
dans des lieux privés : elles disent qu’elles aiment l’échangisme et que
« la première fois, à deux »,
elles l’ont fait sur proposition de leur petit ami. Du côté des hommes,
la réponse est identique dans les deux cas : « je ne l’ai jamais
forcée, elle aime ça ». Ces réponses n’ont rien de surprenant pour les
féministes. Les femmes ont eu l’habitude d’associer à l’amour, la
soumission ; au refus, la perte de l’autre. On retiendra l’importance de
« la première fois et à deux » dans l’histoire de la violence répétitive,
à l’encontre de la même personne. Le chantage implicite et explicite ou l’appât
d’une vie meilleure initie le processus évolutif de la violence. Le rapport
Henrion sur le rôle des professionnels de la santé dans la violence
conjugale (2001) caractérise les violences par l’existence d’un
« processus évolutif au cours duquel un partenaire exerce, dans le cadre
d’une relation privilégiée une domination qui s’exprime par des agressions
physiques, psychiques ou sexuelles ».
En mai 2002, le Ciem (Collectif interassociatif
Enfance Médias) qui regroupe des associations féministes, des syndicats
d’éducateurs, des parents d’élèves et des professeurs a publié un rapport
commandé par le ministère de la Culture et de la Communication sur
l’environnement médiatique des jeunes. Le Collectif s’est inquiété de
l’influence de la pornographie sur les jeunes et préconise au CSA la
suppression de ce type de programme à la télévision (voir points 6 et 7 de la
chronologie de la recherche). Le CSA a accepté cette proposition et
travaille dans ce sens depuis la remise du rapport. La pornographie est une
forme de violence symbolique dans le sens où les femmes mises en scène semblent
généralement obtenir du plaisir par la soumission. La violence est érotisée
comme le rapport de domination hommes-femmes est banalisé : il entre dans
l’ordre des comportements normaux. L’image violente de la sexualité ne peut
qu’influencer la représentation sociale de la sexualité, notamment chez les
jeunes en quête de questions en matière sexuelle.
Il serait souhaitable que des acteurs du service
éducatif et social soient formés à la dimension genrée des problèmes rencontrés
chez les jeunes. En terme d’éducation sexuelle, une déviance d’ordre
comportemental peut-être le produit de l’intériorisation d’un rapport
homme-femme basé sur le binôme domination-soumission, ce dernier étant
particulièrement révélé dans le fait de ne pas pouvoir culturellement signifier
son refus. Il ne s’agit pas uniquement de parler de fonctionnement biologique
des organes de la reproduction mais aussi de respect des corps et de plaisirs
partagés. On peut imaginer des films réalisés par des professionnels mettant en
scène des partenaires acceptant librement et sans contraintes de se donner
mutuellement du plaisir sans qu’il y ait de rapport de force. Dans un esprit
laïc et républicain, il est indispensable que des agents du service public se
chargent de former et d’informer les jeunes sur la relation d’amour et de
confiance prompte à construire la relation sexuelle. Dans le cas contraire, il
est probable que des associations à connotation religieuse prennent les devants
et réintègrent progressivement des valeurs morales dans l’éducation sexuelle
des jeunes là où il ne devrait être question que de plaisirs partagés, de
respect mutuel et d’égalité.
III - UNE SOCIOLOGIE DE LA JEUNESSE MARGINALE
Le phénomène de la tournante est un problème de
délinquance, donc de violence urbaine, qui concerne principalement les mineurs.
Les processus par lesquels un jeune peut être conduit à adopter des
comportements marginaux sont multiples. Le processus est le produit de
plusieurs facteurs sociaux qui, combinés, génèrent des conduites « à
risque » et des réponses à ces conduites (lois sociales et répressions).
Quelques-uns de ces facteurs à risque sont : 1) la pauvreté ou une
position sociale de classe moyenne enlisée dans un contexte défavorable à une
ascension (donc productrice de tensions), 2) l’échec scolaire ou l’absence d’un
diplôme professionnalisant, 3) l’espace mental et physique dans lesquels se
déroulent la plupart des activités du sujet (lieu d’habitation, environnement
familial, amical et professionnel). Enfin, la période qui caractérise l’état de
jeunesse est marquée par la construction d’une identité dont la complexité et
le résultat dépendent du processus par lequel elle se construit.
Pendant la jeunesse (âge de vie compris entre 15 et 25
ans selon la définition usuelle) l'identité se construit de manière
conflictuelle dans le rapport à l'autre[5].
La « juvénisation » est un étirement de l'adolescence, un allongement
des périodes de statuts transitoires qui retarde l'entrée dans la vie adulte.
Tout se passe comme s'il y avait un retard ou un report du moment de
« l'établissement » : allongement de la durée de vie, des
périodes de formation, de l'entrée dans une profession sans oublier la station
prolongée dans les statuts prématrimoniaux et préparentaux (retard de l'âge du
mariage et report de la première naissance).
La question de l'avenir est une source d'angoisse et
l'environnement affectif assure dans le meilleur des cas la survie économique
et une stabilité affective. Du fait même de son manque d'expérience et de
qualification professionnelle, le jeune est la plupart du temps non
opérationnel sur le marché de l'emploi ou occupe des emplois précaires, ne
nécessitant pas de qualification particulière. Associés à un contexte de
précarité économique et de désaffiliation (notion empruntée à R. Castel pour
signifier la rupture de lien sociétal), les troubles inhérents à une
spécificité de génération peuvent entraîner certains types de comportements. La
voie de la marginalité est une façon de trouver un remède à sa propre maladie
en intégrant des groupes qui présentent les mêmes symptômes.
En dehors des mesures publiques mises en place pour
favoriser l'insertion sociale des jeunes, l'environnement familial est considéré
comme étant un vecteur de réussite ou d'échec. « La famille influence de deux
façons l'insertion professionnelle des jeunes. D'une part, elle constitue un
milieu culturel plus ou moins favorable à leurs performances scolaires. D'autre
part, elle met à leur disposition un réseau relationnel qui, au moment
d'accéder à l'emploi, contribue à faciliter l'insertion professionnelle
notamment quand les deux parents ont un emploi » (INSEE, Économie et
Statistique, « les trajectoires des jeunes : transitions
professionnelles et familiales », 1995, p. 118). Le degré de maîtrise de
la langue française des parents des jeunes immigrés et d'origine étrangère
influence les performances scolaires des enfants, donc leur devenir sociétal.
L'instabilité et le poids du passé familial semblent
aller de pair avec l'instabilité professionnelle sachant que la concomitance
des deux variables, augmente le risque d'une pauvreté monétaire et des
conditions d'existence. L'une des situations sociales des plus inconfortables
réunit la somme des caractéristiques suivantes : un statut de célibataire
isolé de tout contexte de solidarité interpersonnelle avec enfants à charge et
une histoire de vie familiale ponctuée par des périodes de chômage et couplée
de l'absence de scolarité de l'un des deux parents d'origine étrangère. Le
ménage résiderait dans une agglomération urbaine et la personne de référence du
ménage combinerait un problème de santé, une absence de qualification
professionnelle et une situation d'inactivité ou de sous-emploi sur le marché
du travail. Elle occuperait un emploi précaire (CDD, travail intérimaire,
stages rémunérés, etc.) et/ou bénéficierait de mesures de protection sociale
octroyées par les instances publiques.
Le processus de marginalisation est semblable à celui
de l'exclusion, tous deux résultent d'un défaut d'intégration et de ce fait
dépendent d'un protectorat social identique (le R.M.I.). L'absence de travail
régulier provoque, en dehors de toute considération financière, un
appauvrissement des supports relationnels et de ce fait un état d'isolement
notamment lorsque l'environnement n'est pas régénéré par des activités
orientées vers l'autre. Une spécificité de la marginalité juvénile est
formalisée dans la notion de la galère. L'un des trois principes constitutifs
de cet état est la rage ; soit un comportement qui se traduit par
une violence avec ou sans objet, verbale ou non verbale.
IV - CHRONOLOGIE DE LA RECHERCHE
Les huit points de la chronologie proviennent
d’informations médiatiques recueillies dans Le Monde, Libération, Le Nouvel
Observateur, Marianne et Télé Monte-Carlo.
Une commission sur le phénomène de la tournante est
créée au sein du Collectif 13 Droits des Femmes après acceptation du projet de
recherche en Assemblée Générale par l’ensemble des associations, partis
politiques et représentants syndicaux du collectif. Cette commission a réuni
régulièrement entre les mois de décembre 2001 et juillet 2002 les
représentantes des associations directement partenaires, à savoir : le
Mouvement Français pour le Planning Familial représenté par Annette Guidi, SOS
Viol par Christiane Berthelot, le Collectif 13 Droits des Femmes par Judith
Martin-Razi et la chargée de cette recherche Béatrice Sberna pour l’association
commanditaire Collectif 13 Droits des Femmes.
En dehors de la commission, les associations SOS
Femmes et le Centre d’Orientation, de Documentation et d’Information des Femmes
(CODIF) ont été particulièrement actifs dans la recherche de documents sur
« les violences conjugales » et « la prostitution » pour le
phénomène de la tournante.
• Première réunion de la commission le 5 décembre
2001. Plan d’ensemble de la recherche. Discussion autour des sens affiliés aux
termes « tournante » et « viol collectif ». Acceptation du
mot « tournante » pour la recherche.
1) décembre 2001 : une tournante à Perpignan.
Une jeune fille de 11 ans est devenue l’objet sexuel de 12 garçons dont le plus
âgé a 16 ans. Tout a commencé avec son petit ami et premier partenaire
qui l’a incité à avoir des rapports sexuels avec d’autres. Les garçons du
collège disent d’elle qu’elle était consentante, les filles qu’elle se vantait
de coucher avec les garçons.
2) janvier 2002 : propositions du ministère de
l’Éducation Nationale et de la Recherche. Un dossier intitulé « 30
propositions pour lutter contre les violences sexuelles dans les établissements
scolaires » construit à l’occasion du colloque « violence à
l’école et politiques publiques » (discours prononcé par le Premier
ministre et le ministre de l’éducation nationale à l’UNESCO en mars 2001). En
introduction au dossier : « les multiples phénomènes de violence qui
bouleversent les clivages sociaux et touchent surtout les filles apparaissent
inquiétants. : elles subissent le diktat d’aînées qui leur imposent des
règles ou des codes écrasants, elles subissent enfin le mépris l’autorité et la
violence des garçons qui portent sur elles un regard utilitaire. Cette
déviation sexiste fondée sur l’oppression et la destruction traumatisante des
jeunes filles trouve son point d’aboutissement dans une sexualité
forcée ». Les propositions annoncées s’articulent autour des notions de
respect du corps de la femme, l’estime de soi, les effets de la culture de
bande, une éducation psychosociale dans le cadre de la relation amoureuse
• Deuxième réunion de la commission en janvier 2002.
Élargissement du réseau d’informateurs (entretiens avec des salariées des
associations directement partenaires, des commissaires, la PJJ, SOS Femmes, une
commissaire et une avocate).
3) mars 2002 : des filles dites tournantes à
Marseille. À l’occasion d’un reportage sur le travail de médiation aux
proximités de collèges de Marseille pour la chaîne télévisuelle publique TMC,
de jeunes médiateurs annoncent l’existence de filles dites tournantes dans les
13ème, 14ème, 15ème et 16ème
arrondissements. Les pratiques s’effectueraient dans les immeubles des cités et
sur une colline. Selon les médiateurs, les filles apparaissent aux yeux des
garçons des collèges comme « consentantes », voire
« nymphomanes ». Deux collégiennes nommées par des garçons
« tournantes » sont connues des médiateurs. L’une des jeunes filles
avouerait que son petit copain la force à avoir des relations sexuelles avec
d’autres garçons. Elle habite chez ses parents, elle aurait tenté de se suicider
- une adolescente de 13 ans est « vendue pour
2 à 10 euros la passe » par un jeune de 17 ans à 6 garçons entre 14 et
17 ans à Roubaix. Le jeune est mis en examen pour proxénétisme aggravé.
• Troisième réunion de la commission en mars 2002.
Décision de contacter les collèges de Marseille pour proposer des actions de
prévention en direction des jeunes sur le thème de la sexualité. Constat au
niveau des institutions relevant de la justice et de l’ordre public :
aucune personne n’a entendu parler de cas de « tournantes » à
Marseille.
4) avril 2002 : une information juridique.
Une avocate travaillant avec SOS Viol nous renseigne sur le cas d’une jeune
fille résidant dans le 15ème arrondissement de Marseille qui a
déposé une plainte contre son petit ami. Il l’a forcé à avoir des relations
sexuelles avec des jeunes hommes du même quartier. Elle vit chez ses parents.
À Aix-en-Provence, le même cas est enregistré par
l’avocate ainsi qu’à Aubagne, Istres et Auriol.
5) mai 2002 : un viol en réunion. Huit adolescents
lyonnais âgés de 14 à 16 ans ont été mis en examen pour « viols en
réunion » d’une collégienne de 15 ans. Elle aurait été brusquement saisie
par deux adolescents de son collège alors qu’elle se promenait avec deux
copines. Le consentement prétendu de la victime est proclamé par les
agresseurs, elle aurait subi deux agressions similaires deux mois auparavant.
Tout lien affectif (flirt) avec l’accusé principal est nié par la victime. Elle
a tenté de se suicider.
- 10 adolescents âgés entre 12 et 16 ans comparaissent
devant le tribunal d’Aix-en-Provence pour le viol collectif en mai 2001 d’une
femme de 36 ans.
• Quatrième réunion de la commission en mai 2002.
Réflexion autour de la notion de « conjugalité ». Prévision d’un
entretien avec SOS Femmes qui a entamé une procédure en vue de redéfinir le
terme de « conjugal ».
6) juin 2002 : recherche pour le ministère de
la culture et de la communication. Jean-Jacques Aillagon confie
une mission d’étude concernant « l’impact de la violence à la
télévision sur le public et sur les jeunes » suite au meurtre d’une
lycéenne dont l’assassin affirme avoir été inspiré par le film Scream.
- enquête sur « les adolescents victimes de la
dictature de la pornographie ». Dès l’âge de 12 ans, les garçons et la
moitié des filles ont déjà visionné un film pornographique. Une banalisation
inquiétante qui impose des modèles de domination, en privilégiant le plaisir
masculin, en niant tout désir féminin et en banalisant la violence » (1324
collégiens interrogés). L’entrée dans la sexualité s’effectue de manière
violente. Les jeunes ont de plus en plus de mal à différencier la réalité du
fantasme, une bascule s’effectue directement du monde virtuel à l’acte. Le
langage et les pratiques sont de plus en plus crus, sans préliminaires. Un
sexisme violent naît chez les jeunes garçons, la violence et la suprématie
masculine sont normalisées. Enfin on peut parler de frustration sexuelle
dans un environnement culturel et médiatique sur sexué (publicités et films
pornographiques).
• Cinquième réunion de la commission en juin 2002.
Discussions sur l’ensemble de la recherche avant l’écriture du rapport.
Présence des membres du Bureau du Collectif 13 Droits des Femmes.
7) juillet 2002 : proposition du Conseil
Supérieur de l’Audiovisuel : « une télévision sans pornographie pour
protéger les enfants ».
Dominique Baudis, président du CSA, souhaite interdire
la diffusion de films pornographiques à la télévision qui représente 950 films
par mois sur le câble, le satellite. Canal+ (15 diffusions par mois) et AB
groupe (chaîne XXL) ne veulent pas renoncer à la diffusion de ces films qui
représente 10 % d’abonnés d’une télévision à péage. Le CSA a été interpellé par
le collectif Ciem suite à la remise du rapport de recherche commandé par
Ségolène Royal, ancienne ministre déléguée à la famille, et saisi par le
ministère de la culture et de la communication sur le thème de l’environnement
médiatique des jeunes entre 0 et 18 ans.
Résultats de la recherche : la pornographie et
la violence à la télévision nuisent aux mineurs.
Des assistantes sociales consultées par le collectif
interassociatif enfance, médias (Ciem) composé d’une centaine d’associations
annoncent que « les perturbations induites par le visionnage de ce genre
de programmes par de jeunes enfants peuvent induire des perturbations
psychiques et des dérèglements de comportements analogues à ceux d’un abus
sexuel. À propos de la pornographie, une industrie est en train de se
développer qui banalise une image de la femme très dégradée, fait peu de cas du
droit de très jeunes hommes et femmes qui y sont filmés, de leur humiliation,
de leur protection sociale et du risque que cette industrie alimente des
réseaux financiers illicites » Un film pornographique coûte à la
réalisation que 5 % du prix d’un film traditionnel. Le véritable héros
cinématographique est devenu le tueur en série présenté comme rusé et
supérieurement intelligent, la violence comme la cruauté sont érotisées.
8) août 2002 : projet de Loi adopté par
l’Assemblée nationale sur la délinquance des mineurs. On retient « une
extension de la procédure du témoin anonyme qui permet de cacher aux prévenus
l’identité d’un témoin et le placement en détention provisoire pour les 13-18
ans ainsi que des sanctions pour les 10-13 ans ». Ces deux tranches d’âge
concernent directement la population qui agresse les femmes victimes de viols
collectifs.
Collectif 13 Droits des Femmes
Le Collectif 13 est membre du Collectif National pour
les Droits des Femmes créé en 1995 par la Coordination des Associations pour le
Droit à l’Avortement et à la Contraception (CADAC). Le collectif 13 lutte
contre toutes les formes de discrimination, d’exclusion et de pauvreté que
subissent les femmes. Le Collectif 13 Droits des Femmes a été impulsé par
« La marche mondiale des femmes pour l’an 2000 », les statuts du
collectif 13 sont officiellement déposés en mars 2001.
Structures-membres du collectif 13 Droits des
Femmes domiciliées à Marseille ou Aix :
- 21 associations : Association Française Femmes
Diplômées de l’Université (AFFDU), Centre Evolutif Lilith (CEL), Centre
d’Information des Femmes Phocéen (CIDF), Centre d’Orientation de Documentation
et d’Information des Femmes (CODIF), Comité Chômeuse, Collectif des
Sans-Papiers, Evreux 13, Comité féminin pour la Santé des Femmes 13, Femmes
Solidaires, Forum Femmes Méditerranée (FFM), Ligue des Droits de l’Homme,
Mix-Cité 13, Mouvements Jeunes Femmes, Mouvement de la Paix, Mouvement contre
le Racisme et pour l’Amitié des Peuples (MRAP), Marseille Algérie Femmes et
Démocratie (MAFED), Mouvement Français pour le Planning Familial (MFPF), SOS
Femmes, SOS Viol, SCHEBBA, Ras l’front
- 2 syndicats : Confédération Générale du Travail
(CGT), Fédération Syndicale Unitaire (FSU)
- 4 partis politiques : Ligue Communiste
Révolutionnaire (LCR), Les Verts, Parti Communiste Français (PCF), Parti
Socialiste (PS).
Associations-membres de la commission sur « les
violences sexuelles : le cas des tournantes » créée par le
Collectif 13 Droits des Femmes
Commanditaire de la recherche-action :
- Collectif 13 Droits des Femmes sur proposition de
Judith Martin-Razi
Associations pour la commission
« Tournantes » :
- Mouvement Français pour le Planning Familial
(Mouvement d’éducation populaire)
- SOS Viol
Le collectif et les associations partenaires luttent
pour le changement des mentalités et peuvent se porter partie civile dans des
procès concernant les violences sexuelles. La lutte contre la violence envers
les femmes reprend les thèmes abordés par les ministres responsables des
politiques de l’égalité des chances entre les femmes et les hommes des 15 états
membres de l’Union Européenne.
Citons deux projets de l’Union Européenne : le
programme communautaire Daphné (2000-2003) sur « la lutte contre la
violence exercée à l’encontre des enfants, des adolescents et des femmes »
qui constitue une base de données ainsi que le projet « réponses à la
violence quotidienne dans une société démocratique » mis en place par le
Conseil de l’Europe. Ce dernier intègre dans la recherche sur les différentes
formes de violences « la violence discriminatoire »,
c’est-à-dire : le racisme, la violence fondée sur le sexe et la violence
domestique, l’homophobie et la discrimination fondée sur l’âge, l’aptitude ou
la religion.
Les thèmes abordés par l’Union Européenne relèvent au
moins de quatre domaines d’action sur lesquels travaille le Collectif 13 et les
associations partenaires, soit :
- La prévention de la violence à travers des campagnes
de sensibilisation (INFORMER)
On rajoute : violence sexuelle sous toutes ses
formes (publicité, pornographie), apprendre à déceler les violences et les
pratiques, vulgarisation législative, formation, dénonciation.
- La prévention de la violence à l’égard des femmes
depuis l’école (ÉDUQUER)
On rajoute également l’éducation sexuelle des garçons
et des filles et la prévention par la santé
- La protection des victimes et la condamnation des
agresseurs (PROTÉGER ET PUNIR)
On rajoute l’implication des associations de femmes
dans le traitement des victimes et des délinquants
- Le harcèlement moral au travail (IDENTIFIER)
On rajoute l’identification d’une violence symbolique
dans les rapports de pouvoir
- Croisement des réseaux à un niveau local, national
et international (CONSTRUIRE)
On rajoute : l’implication des associations
locales à des projets européens et internationaux.
VI - SIX PROPOSITIONS D’ACTION
1) Accepter que « la tournante » soit un phénomène
particulier qui existe et qui relève de manière générale du traitement de la
délinquance et des associations mafieuses et de manière particulière du
traitement de l’exploitation sexuelle.
2) Se spécialiser dans le traitement de la délinquance
masculine : montage de dossiers dans cette direction, création de postes
« chef de projet » et « formateur » dans les associations.
3) Créer une commission « lutte contre la
délinquance » dans chaque association luttant contre les violences faites
aux femmes et une sous-commission « lutte contre l’exploitation sexuelle
des mineurs ».
4) Proposer des séances d’informations en plus grand
nombre sur le thème de « l’éducation sexuelle et l’amour partagé » aux
responsables des collèges et lycées de Marseille du département et de la région
en partenariat avec l’éducation nationale, la préfecture de Police, le Conseil
Général et le Conseil Régional. Il s’agit de convaincre tous les acteurs de
l’utilité fondamentale de ce type de formation.
5) Proposer une commission de travail sur
« l’exploitation sexuelle des mineurs » au sein de ministères pour la
création d’une délégation interministérielle.
6) Soutenir la création par le CSA d’une télévision
sans pornographie. Le phénomène des tournantes s’inscrit dans la violence
sexuelle telle que la définit le Mouvement pour l’Abolition de la
Prostitution et de la Pornographie (MAPP) et toutes formes de violences
sexuelles et discriminations sexistes. La pornographie comme les tournantes
(forme de prostitution) font parties du domaine de l’exploitation sexuelle.
Je tiens à remercier personnellement Le Collectif 13
Droits des Femmes.
Les membres de la commission « tournante »
du Collectif
ont encouragé l’objectivité scientifique
à tous les stades de la recherche.
Le travail régulier et soutenu de la commission
a permis des conditions de travail optimums.
Mes remerciements sincères aux interviewées pour la
recherche.
Béatrice SBERNA
Docteure de l’École des Hautes Études en Sciences
Sociales
Remerciements pour leur confiance et leur soutien
financier
au Conseil Régional PACA, au Conseil Général 13 et
à la Direction Régionale des Droits des Femmes et à
l’Egalité.
ÉPILOGUE
Le
texte qui suit sort du cadre de la recherche scientifique
Que dire de plus sur la violence sexuelle faite aux
femmes que n’ont déjà dénoncées les associations, les militantes et celles qui
ne savent pas qu’elles militent pour des conditions de vie meilleures, un monde
plus juste, plus humain. Rien d’autre. À moins que l’on parle de valeurs
démocratiques et républicaines à défendre, de valeurs civiques à retrouver dans
les décombres et du travail quotidien de milliers de petites mains, de femmes.
Que dire de plus sur la relation amoureuse sinon que
presque plus personne n’y croit. Les romans n’invitent plus au sentimentalisme
et les histoires d’amour romancées sont devenues des histoires de sexe
amplifiées. Les femmes rivalisent désormais sur le terrain des hommes :
corps découpés sous l’œil même pas attendri du lecteur, regard brouillé du
spectateur par le zoom sur les trois orifices d’une probable extase. Gainsbourg
disait « no comment », l’industrie du sexe répond par le commentaire
gynécologique d’une surface décortiquée. Les grandes lèvres, les petites, le
clitoris et un vagin qui n’en finit plus de grandir. Mise en scène théâtrale,
épilogue de l’amour, prologue pour un substitut du plaisir, charcuté. La
violence est érotisée.
Des jeunes filles regardent des films pornographiques,
pourquoi pas. Sauf que là, elles s’initient aux plaisirs des hommes. Comment
faire pour être la meilleure, comment faire pour l’attirer, comment faire pour
le garder. Elles pourraient devenir de délicates amazones si elles n’étaient à
un moment donné meurtries, tiraillées entre ce qu’elles rêvaient d’avoir et ce
qu’elles ont. On parle d’éducation que n’assure plus la famille, on n’évoque
que très peu l’absence d’une éducation sexuelle à l’amour.
Les filles dites tournantes existent à Marseille,
comme ailleurs. Ce sont ces jeunes filles qui passent d’hommes en hommes sans
autre compensation que l’espoir de trouver le bon, le dernier, le véritable
amour. Elles n’inspirent ni les poètes, ni les hommes qui les font tourner comme
on fait tourner une bière, un paquet de chips, un joint. Si le produit est bon,
il pourra être commercialisé, la femme pourra devenir une prostituée. Carrière
mirobolante pour une initiation sur le tas par de petits malfaiteurs avertis et
des jeunes filles, si peu initiées au plaisir d’être aimée.
Certains disent que le problème n’existe pas, que le
mot est importé des banlieues, qu’il n’est pas beau, que ça ne veut rien dire.
Alors, pourquoi il existe ce mot ? Le mot « tournante » n’est
pas beau, c’est vrai ; il est aussi laid que la réalité que subissent ces
femmes murées dans le silence des quartiers. Difficile de les mettre dans des
cases : entre le viol, la prostitution et la violence conjugale. On
préfère la pudeur, la vision d’un autre monde, la déformation d’une réalité
sociale pour une plus rapide transformation.
Qu’est-ce qu’on fait ? Si on refuse encore
qu’elles constituent à elles seules une catégorie de l’exploitation sexuelle,
on nie la réalité. On les enferme dans l’existant pour ne pas penser un autre
possible, une autre réalité. Ces jeunes filles ont un terrain favorable à
toutes les formes de violences sexuelles, psychologiques, morales et
symboliques faites par les hommes.
En acceptant qu’elles existent, on peut améliorer des
plans de formation en direction de jeunes garçons et filles de l’école
primaire, du collège et du lycée. Juste pour prévenir et avoir un peu moins à
guérir, à dose homéopathique et régulièrement administrée. Les jeunes parlent
de tournantes, les adultes de viol en réunion. Ceux qui violent ne pensent pas
violer, celles qui sont violées ne pensent pas être forcément violées. C’est
peut-être encore une fois considérer que les adultes n’ont rien à apprendre des
jeunes « de quartiers » que de vouloir comprendre le monde avec nos
mots.
Préambule
Introduction
I - Une définition du phénomène de la tournante
a) Prise en compte d’un système mafieux
2
Une entrée par la
prostitution
a) L’inconnue financière et le rapport au territoire des
victimes
3 Une entrée par la violence
conjugale
a) la
pluralité des partenaires et un élargissement du terme « conjugal »
4 Retour sur les formes de violences
énoncées,
pour une définition du phénomène
II - Une sociologie de la violence
1 La
victimisation
2 La
domination symbolique,
conditionnement psychologique et pornographie
III - Une sociologie de la jeunesse marginale
IV - Chronologie de la recherche
V - Associations partenaires de
la recherche
VI - Six propositions d’action
Remerciements
Épilogue
Table des matières
[1] Commission Nationale Contre les Violences Envers les Femmes, Le système de la prostitution : une violence à l’encontre des femmes, mars 2002, p. 21. Manifeste « Le corps n’est pas une marchandise ».
[2] SOS Femmes, Action pour une extension de la circonstance aggravante dite de « violence conjugale » remis à la Députée Christine Lazerge pour l’Assemblée Nationale, août 2001.
[3] Nos références théoriques sont principalement extraites des travaux de Pierre Bourdieu à L’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Voire chez l’Harmattan, collection Logiques Sociales, 2002, Béatrice Sberna « une sociologie du rap à Marseille » (sur les conditions d’existence du phénomène, doctorat de l’E.H.E.S.S.).
[4] Position adoptée par la philosophe Geneviève Fraisse lors du débat sur les femmes et l’Universalisme proposé par SOS Femmes en mars 2002 (voir synthèse).
[5]. « Connaître les modes de vie et de consommation des jeunes », Paris, Colloque Européen, 26-27 septembre 1991, au sujet de la question identitaire chez les publics jeunes.