Bilan de la loi suédoise pénalisant les « acheteurs de services sexuels »

La loi suédoise contre l’achat de services sexuels, loi qui pénalise les « acheteurs de services sexuels», a fait couler beaucoup d’encre. Les détracteurs de la loi recourent souvent à des arguments contradictoires pour « démontrer » son échec. Il est courant de lire dans un même article que la loi (totalement inefficace) n’a pas fait diminuer la prostitution en Suède mais que, pourtant, cette même loi (finalement efficace ?) est contournée par les Suédois qui se rattrappent en ayant recours aux prostituées d’autres pays voisins. Pour voir plus clair dans ces assertions - qui la plupart du temps ne sont pas documentées - nous présentons ici, sources à l’appui, un bilan de cette loi controversée.

La loi

L’initiative de pénaliser « acheteurs de services sexuels »a vu le jour grâce au Mouvement des femmes suédoises et à la forte présence de femmes au parlement (40 %). Cette loi faisait partie d’une loi plus vaste, Acte sur la violence envers les femmes, ou « paix des femmes »  promulguée le 1er juillet 1998. La pénalisation des « clients » était accompagnée de mesures d’accompagnement : une campagne d'affichage rendant visible les 12 % de la population masculine qui ont eu un jour recours à une personne prostituée a été lancée dans le pays, des programmes de sensibilisations ont été développés à destination des enfants. Jusqu’à un certain point, l’État est responsable d’aider les femmes à sortir de situations violentes, notamment la prostitution, et de fournir aux femmes l’accès à des refuges, à conseil juridique et social, à l’éducation et à la formation professionnelle (11). Les efforts déployés jusqu’à présent ont été dirigés principalement vers la prostitution de rue, mais la prostitution dans les bordels, les clubs pornos et les agences d’escorte a aussi été visée (1).  

L’opinion publique et les survivantes de la prostitution soutiennent la loi

Plusieurs sondages menés en 2000 et en 2001 montrent qu’approximativement 80 % de la population suédoise appuie la loi. Parmi les gens qui veulent abroger la loi, la majorité sont des hommes : seulement 7 % sont des femmes (5). D’une façon plus importante, des groupes organisés par des femmes qui ont été dans le milieu de la prostitution, aussi bien que des femmes qui tentent d’échapper à ce milieu, appuient la loi. Celles-ci affirment que la mise en oeuvre de la loi a agi comme incitatif pour des femmes qui ont décidé de se mettre à la recherche d’assistance (1).

Diminution de la prostitution…

La police nationale indique que le recrutement de nouvelles femmes pour la prostitution a quasimment cessé (4). On a observé un afflu de femmes s’adressant aux services sociaux qui souhaitent quitter la prostitution (1). Le groupe sur la prostitution de la police de Stockholm déclare que le nombre de prostituées de rue a diminué de moitié depuis l’adoption de la loi (6). Anders Gripenlöv, inspecteur du groupe de lutte contre la prostitution, parle lui d’une centaine de femmes dans les rues de Stockholm, contre 250 avant la loi (2). La ministre suédoise de l’égalité des sexes Margareta Winberg a indiqué que la loi a facilité l’action de la police contre les bordels et les autres marchés de la prostitution (12). Les Centres de services et la police affirment que la loi fonctionne aussi comme un élément de dissuasion pour les hommes qui font usage de femmes dans les bordels, dans les clubs pornos et dans des agences d’escortes. Des hommes qui occupent des postes haut placés, y compris dans les armées en poste au Kosovo ont été inculpés pour avoir enfreint la loi, ce qui a lancé un signal dissuasif en direction de tous les milieux. Des femmes suédoises issues de mouvements et de groupes qui travaillent avec les femmes en situation de prostitution   afirment également que la loi a un effet également dissuasif sur les jeunes femmes qui ne sont pas encore dans la prostitution mais qui sont en risque prostitutionnel (rupture familiales ou consommatrices de drogues)(1).

…qui ne semble pas être simplement remplacée par une « prostitution cachée »

Sans jamais citer de sources, les médias français affirment régulièrement que la prostitution « cachée » a augmenté en Suède. «Comme ailleurs, pas plus qu’ailleurs, répond Gunilla Ekberg, citant les rapports d’Europol. Ces nouvelles formes de prostitution ne sont pas le fait de notre loi, elles sont simplement concomitantes. » (2). Un représentant du Groupe sur la prostitution de la Police de Stockholm maintient également, dans un article daté du 16 février 2001, qu’il n’y a aucune indication que la prostitution "cachée" – qui se déroule dans les clubs pornos, les agences d’escorte et les bordels – ait augmenté (6). En France comme en Suède, la prostitution se développe également dans des lieux invisibles. Les associations de terrain reconnaissent d’ailleurs, que la prostitution de rue n’est que la partie immergée de l’iceberg et ne représente qu’un pourcentage faible de la prostitution globale.  

Erradication du proxénétisme et de la traite des femmes

La nouvelle loi suédoise a réussi à éliminer la majorité des proxénètes (1). De même, la traite de femmes vers la Suède a été largement entravée par la loi: La ministre suédoise de l’égalité des sexes Margareta Winberg a indiqué que, selon la rapporteure nationale sur la traite et selon Europol, la loi est considérée par les proxénètes et le crime organisé comme un obstacle de taille à la traite des femmes (12). Kajsa Wahlberg, la rapporteure nationale sur la traite à la police nationale suédoise, déclare, dans un article publié à la fin de janvier 2001, que le nombre de femmes trafiquées vers la Suède a diminué depuis que la loi est mise en oeuvre. Elle dit que, selon ses collègues policiers de l’Union européenne, les trafiquants choisissent d’autres pays où leur commerce n’est plus entravé par de pareilles lois (7). Dans un article paru en février 2001, un inspecteur de police du Nord de la Suède, interviewé sur la situation dans son district, affirme que sans la loi, la Suède aurait eu le même problème avec les camps de viol comme on retrouve dans le Nord de la Norvège et en Finlande (8).

Limites de la loi

Cependant, la loi connaît aussi en Suède des critiques fondées, dépassant la simple défense des intérêts des millieux proxénètes ou des « clients ». Si elles sont globalement satisfaites de la loi, les féministes critiquent néanmoins le gouvernement qui n’alloue pas assez de fonds aux groupes de femmes et aux autres organisations qui pourraient fournir les services nécessaires. Elles demandent aussi l’accès aux services pour les femmes qui vivent à l’extérieur des grandes villes (1). De plus, le rapport du Comité parlementaire sur le crime sexuel indique que l’interdiction d’acheter des services sexuels doit être amendée et renforcée pour une meilleure application (10). La Police nationale a fait paraître un rapport critiquant le fait qu’il est difficile d’obtenir des preuves qu’un homme ait commis un délit en vertu de la loi (9). Selon les plus récentes statistiques parues au début de 2001, plus de 160 hommes ont été arrêtés en vertu de la loi. Parmi ceux-ci, 67 ont été relâchés sans conséquence, à cause du manque de preuves, alors que seulement 25 des 43 hommes traduits en justice ont été reconnus coupables (1).

Un succès qui dépasse néanmoins le faible nombre d’arrestation

Cependant, si nous devions baser l’efficacité des lois sur le nombre de condamnations par rapport au nombre de crimes commis, les lois sur le viol ou les lois contre la violence faite aux femmes devraient alors êtres rejetées comme étant complètement incapables d'empêcher ces crimes. La loi extraterritoriale sur la poursuite de pédophile ayant agis à l’étranger, devrait sur cette base être également questionnée ; Bien entendu, tout comme la pénalisation du meurtre, du viol ou du harcelement sexuel ne peut pas encore suffir à les faire disparaître complètement, la prostitution n’a pas non plus disparu en Suède. Mais ceci n’est pas une raison pour ne pas pénaliser ces violences. La dépénalisation des violences signifierait que la société les accepte, risquerait fortement de les faire augmenter et empêcherait toute réparation des victimes. En réalité la force de cette loi est d’avoir posé la norme de transgression permettant de mener une campagne plus globale de prévention en direction de tous les acteurs. La loi pose un interdit et ses effets dépassent largement le faible nombre d’arrestation: Le groupe sur la prostitution de la police de Stockholm déclare que 70% à 80% des « clients » de prostituées ont disparu (6), autrement dit, les « clients » sont cinq fois moins nombreux (2).

Sources : (1) Gunilla S. Ekberg, Le cas de la Suède, Compte rendu, journées de formation sur La mondialisation de la prostitution et du trafic sexuel du 15-16 mars 2001 à Montréal, Québec; Publication du Comité québécois femmes et développement de l'AQOCI, mai 2001. Publication sur le site: http://www.aqoci.qc.ca/cqfd/trafic.html  (2) Nouvel Observateur   N° 1972   (22/8/2002). (3)  Le Monde du 12.07.02. (4) Jens Kärrman, “Sexköp minskar – men våldet ökar”, Aftonbladeti, 18 septembre 2000. Cité par Ekberg (2001). (5) Annika Engström et Lova Olsson, « Starkt stôd för skärpt sexlag », Svenska Dagblader, 7 février 2001, 4. Cité par Ekberg (2001). (6) Sanna Björling, “Gatuprostitutionen minskar I Stockholm”, Dagens Nyheter, 15 février 2001. Cité par Ekberg (2001). (7) Karl Viktor Olsson, “Sexköpslagen minkar handeln med kvinnor”, Metro, 27 janvier 2001, p. 2. Cité par Ekberg (2001).  (8) Marlin Byström, “Prostitutionen breder ut sig I Norrland”, Dagens Nyheter, 16 février 2001. Cité par Ekberg (2001). (9) Pernilla Anth, “Polisen dömmer ut ny lag om sexköp”, Dagens Nyheter, 16 février 2001. Cité par Ekberg (2001). (10) Sexualbrottskommitténs betänkande, SOU, 2001 : 14 Cité par Ekberg (2001). (11) Kvinnofrid, SOU, 1997-1998 : 55. Cité par Ekberg (2001). (12) Margareta Winberg, Address by the Swedish Minister for Gender Equality Affairs, at the conference on Gender Equality and Women in the Arctic, Saariselk, Finland, on 5th of August 2002.
 
 

   Mouvement pour l’Abolition de la Prostitution et de la Pornographie    Et toutes formes de violences sexuelles et discriminations sexistes

ONG dotée du statut consultatif à l ‘ECOSOC Nations Unies

Représentant Européen de la Coalition Contre la Traite des Femmes (CATW)

MAPP-BP 215 - 75226 Paris cedex 05 – France- Tel : 01 47 11 09 38- Fax : 01 47 71 90 13- Email : malkam@club-internet.fr