MANIFESTE
DES FEMMES SANS-PAPIERS
Nous
sommes des femmes sans-papiers. Nous vivons en France. Nous voulons nos droits.
Certaines d’entre nous, on nous a fait
venir pour travailler en France. Certaines sont venues avec une promesse
d'embauche ou un travail et une fois ici ont été rejetées, parfois même sans
être payées. On nous dit maintenant de rentrer chez nous mais c'est injuste car
tout le travail fait par les immigrés, par nous et nos familles a bien profité
quand il y a eu besoin de main d’œuvre en France.
Nous voulons le droit de vivre
librement dans ce pays, nous voulons nos papiers.
Beaucoup d'entre nous ont fait le choix
de vivre toute seule ; c'est un droit de vivre comme on l'entend. Sinon ce
n’est pas la peine de proclamer « liberté -égalité - fraternité ».
Les droits doivent être les mêmes dans le concubinage comme dans le mariage
mais notre sort ne doit pas leur être lié. Il y en a qui ont été obligées de se
marier pour avoir des papiers et elles sont tombées dans la dépendance de leur
mari. Certains d'eux profitent de la situation et essayent de prostituer leur
femme ou les dénoncent à la police en se séparant d'elles. Les épouses de polygames et leurs enfants ne sont pas
responsables non plus et ne doivent pas être pénalisés en raison de cette
situation. Femmes célibataires, concubines, séparées ou divorcées, il est
injuste que nous soyons encore plus exclues de la régularisation.
Nous voulons pouvoir choisir notre
manière de vivre et avoir les mêmes droits quelle que soit la situation conjugale
ou familiale. Les droits doivent être attachés à la personne et non au statut
familial.
La circulaire de régularisation de juin
1997 a piégé les gens, la loi de 1998 ne résoud pas nos problèmes, et la
dernière circulaire du ministre de l’intérieur, en octobre 1999, vise à
accentuer la répression contre nous ; au « pays des droits de
l'homme » ce n'est pas normal, ce n'est pas humain de vivre dans l'attente
et dans l'angoisse, l'espoir sans cesse déçu. Sur quoi les préfectures se basent-elles
pour traiter les dossiers ? Il y a des sans-papier(e)s qui ont toutes les
preuves et qui sont rejeté(e)s. Il leur faut sans cesse trouver d'autres
documents, faire d'autres démarches. Des gens ont été régularisés, d'autres
non, alors que leur situation est la même. Le sort de celles et ceux qui ont
été étudiant(e)s et qui doivent attendre quinze ans pour être régularisés, les
différences de traitement selon le pays d'origine, tout est prétexte à
multiplier les situations et à repousser des demandes.
Nous ne voulons plus de cette loterie
et de cet arbitraire. Nous voulons des papiers pour tous et toutes sans
discrimination.
Sans papiers, nous vivons comme en
prison : impossible de sortir de France, d'aller voir sa famille en vacances,
de voir ses enfants lorsqu'ils sont au pays et c'est un déchirement de voir les
autres aller et venir librement et nous d'être bloquées. Nous sommes bloquées
pour tout : pour travailler légalement, faire des études, trouver un logement,
nous déplacer. Nous ne pouvons circuler librement par crainte des contrôles
policiers, des arrestations, des expulsions. Des violences (physiques,
sexuelles) sont aussi commises dans les centres de rétention ou dans les
commissariats. Nous ne pouvons pas donner à nos enfants, quand nous en avons, les
soins et les écoles dont ils ont besoin alors qu'ils souffrent particulièrement
de la situation de leur mère. Beaucoup d'entre nous ont des problèmes de santé
liés au stress, à l'angoisse, aux conditions de travail. Sans sécurité sociale,
il est difficile de consulter, d'avoir recours aux soins. L'information sur
l'aide médicale est difficilement accessible. Quand des femmes sans-papiers
subissent des violences, des agressions, elles ignorent qu’elles peuvent porter
plainte, ou craignent de le faire.
Nous ne voulons plus de cette peur et
de cette précarité. L'information sur les quelques droits que nous avons doit
être mieux diffusée.
Nous sommes contraintes à travailler
sans être déclarées. Nous faisons le ménage, gardons des enfants, aidons des
personnes âgées, nous travaillons dans des ateliers de confection, dans des
restaurants... Ces emplois sont mal payés, parfois pas payés du tout, nous
sommes surexploitées, avec de longues heures de travail, sans protection, sans
respect des droits du travail ni de l’hygiène et de la sécurité. Nous ne
pouvons prendre ni repos, ni congés de maladie, ni congés payés. Nous ne
pouvons pas suivre une formation professionnelle ni des études. Nous pouvons
être soumises à un véritable esclavage. Quand nous habitons chez nos employeurs
nous n’avons pas de liberté. Nous pouvons être mises à la porte d'un jour à
l'autre et perdre à la fois travail et logement. Les horaires ne sont pas fixés
d'avance, et nous devons nous soumettre à la volonté des patrons. Nous sommes
aussi exploitées par des personnes sans scrupules (par exemple des avocats
véreux) qui s’enrichissent sur notre dos.
Nous voulons nos papiers pour
travailler en rapport avec nos compétences et dans des conditions humaines,
nous exigeons le respect des droits les
plus élémentaires du travail et de la formation.
Nous voulons avoir le choix, retourner
dans notre pays, ou vivre en France. Nous ne voulons pas être contraintes au
retour, nous voulons le droit de vivre ici. Le retour forcé brise la vie, les
relations, que nous avons construites ici.
Les préfectures, pour refuser des
papiers à des femmes célibataires, prétextent la présence de parents au pays,
que nous devrions rejoindre. Mais c'est inacceptable à notre âge d'être
considérées comme des mineures.
Nous venons de pays où la majorité des
gens vivent dans la pauvreté et où il n’y a pas assez de travail ; c'est avec
notre salaire que nous faisons vivre notre famille au pays. Si nous rentrions,
sans travail, sans revenu, comment ferions-nous ? Nous devrions repartir à
zéro.
Ici, nous sommes habituées à un certain
mode de vie, là bas nous risquons d’être dépendantes des autres. Ici nous avons
la liberté d'habiter seule, de prendre
des responsabilités. Là bas tout cela est mal vu. Les femmes qui ont vécu
seules en Europe sont souvent considérées comme des femmes trop libres, et
rejetées comme des femmes trop émancipées qui ne vont pas se laisser faire. Les
hommes disent qu'une femme qui a « traîné » ici depuis quinze ans ne
va pas être une bonne épouse et la femme vivant seule en France est souvent
considérée comme une prostituée. Dans certains pays nous serions en danger.
Certaines d'entre nous ont fui des menaces et des violences, un mariage forcé,
la guerre, et ont demandé l’asile en France, mais le plus souvent ce droit
d’asile soit respecté
Nous voulons le droit de circuler, le
droit de vivre ici, de vivre selon notre choix, le droit d'asile pour les
femmes persécutées.
Nous
voulons nos papiers et tous nos droits, nous voulons l’égalité, la liberté, une
citoyenneté pleine et entière, sans discriminations, que ces discriminations
viennent des lois françaises, des lois et traditions de notre pays d’origine
(codes de statut personnel), du racisme ou de coutumes et comportements
oppressifs.
Nous
nous battons pour cela et nous ne cesserons pas de nous battre
Paris, novembre1999.
Réseau
pour l’autonomie des femmes immigrées et réfugiées