LA LOI DU PERE EST MORTE … VIVE LA LOI !

 

 

        La transmission du seul nom du père à l’enfant n’est plus automatique. Les lois qui vont entrer en vigueur en 2005 permettront à la femme et à l’homme de transmettre (presque) également leur nom à leurs enfants.

         Victoire symbolique longuement préparée par les féministes et attendue par des milliers de femmes qui ne supportaient pas de sacrifier  leur nom, pour elles et leurs enfants, sur l‘autel du mariage. Après la maîtrise sur leur corps, via la contraception et l’avortement libres, et les réformes successives du Code civil établissant l’égalité entre époux, elle représente une nouvelle étape essentielle dans la révolution des mœurs.

On ne s’étonnera donc pas des critiques qui accompagnent ce changement législatif.

La plus significative  établit un parallèle entre nom du père et  loi : réformer la transmission du nom du père serait une remise en cause de la notion même de loi. La confusion entre loi et nom-du-père n’est pas surprenante dans une  civilisation tout entière basée sur une distribution admise des attributions en fonction du sexe. Les femmes y ont certes le pouvoir d’enfanter, mais c’est le nom du père qui donne une légitimité à la naissance. Une seconde naissance sociale. Enfant naturel, bâtard, fille mère, elles  ne sont pas si loin, ces appellations  qui traduisaient l’opprobre de ne pas jouir de la reconnaissance de l’homme et du père.

Quant à la loi, dans les sociétés patriarcales, les femmes  sont bien entendu privées du pouvoir de l’élaborer. C’est toujours le  mâle qui dit la loi et autorise l’existence sociale, sinon l’existence tout court. Dans les sociétés archaïques, l’initiation des garçons par les hommes leur donne accès à l’existence sociale. Dans nos sociétés, la psychanalyse théorise la transmission du « nom-du-père », comme symbole de la transmission de la Loi par le père, par les mâles.

 La confusion entre « Loi » et « Nom-du-père »  est en fait au cœur du patriarcat. Elle signifie : « Loi = mâle ». Elle institue comme  Loi , la loi du plus fort.  Contresens sur ce qui constitue  l’essence même de la loi : libérer de la domination en fabriquant de l’égalité et en gagnant sur la coutume par définition , inégalitaire. Loi Veil, loi sur le viol, le harcèlement sexuel, les violences conjugales , ces lois votées depuis trente ans ne font rien d’autre : elles investissent les territoires de la coutume et y imposent une égalité de principe.  (Dans les faits, la force de l’habitude peut s’imposer : la loi révolutionnaire de Fructidor an I avait établi que nul n’était censé perdre ou déléguer son nom de naissance, sous peine de sanction. Et pourtant la coutume de prendre le nom du mari a prévalu…)

 Si la  notion de loi est inséparable de l’idée d’égalité devant la loi , la « Loi du Père », qui légitime le règne du plus fort, en constitue la négation.  Sa transmission par  le nom perpétue cette hiérarchie et  signifie  l’exclusion de  tout un pan de l’humanité, les femmes , de ce qui fait l’Humanité : la raison, la parole, le principe de réalité, le symbolique.

Ainsi , la possibilité pour les femmes de transmettre leur nom à l’égal des hommes est un signe majeur du passage de la loi du plus fort à la Loi , tout court .… Et marque  un tournant majeur de civilisation.

La Loi du Nom-du-Père est morte : vive la Loi !

Ceci étant, la réforme actuelle est marquée par une conception qui privilégie la liberté du choix. A l’extrême, ce refus d’une norme applicable à tous, contrevient à l’idée  même de loi. En pratique, cette influence se traduit par un droit du nom rendu inutilement complexe. Le CERF avait au contraire proposé un texte plus clair et simple : l’attribution automatique de deux noms. A côté du nom transmis de père en fils (celui du grand-père paternel ), aurait été inscrit le nom transmis de mère en fille (celui de la grand-mère maternelle). La dévolution automatique des noms représentant les deux lignées (masculine et féminine), dans l’état civil, symboliserait justement l’égale humanité, l’égale légitimité de la transmission par les deux parents. Ainsi, loin de ruiner l'idée de loi, les modifications que nous demandions , l’auraient renforcée .

 La réforme actuelle du nom n’est donc pas aussi franche qu’on aurait pu le souhaiter. Les couples ont le choix entre les deux noms, mais en cas de non choix, c’est le nom du père qui gagne par défaut. Le changement législatif garde encore l’empreinte d’un long passé. Mais ne boudons pas notre plaisir. En donnant le droit aux femmes de transmettre leur nom plus égalitairement, il  rompt avec un ordre symbolique millénaire.

Anne Vigerie, membre du Cercle d’étude de réformes féministes

Anne Zélensky , présidente de la ligue du droit des femmes