On ne peut taire les
critiques à l'égard du voile au nom de la solidarité avec les jeunes des
quartiers populaires. Contre le racisme et pour les femmes
Par Suzy ROJTMAN et Maya SURDUTS et Josette TRAT
Par Suzy Rojtman, Maya Surduts et Josette Trat, militantes du Collectif
national pour les droits des femmes. La défense de la laïcité et de
l'égalité des sexes mérite mieux qu'un débat simplificateur et qu'un projet de
loi électoraliste.
Nous dénonçons tous les amalgames cultivés depuis le 11 septembre 2001, selon
lesquels jeunes issus de l'immigration = musulmans = intégristes = terroristes.
En France, ces jeunes des deux sexes ont des convictions diversifiées mais
elles et ils ont tous en commun d'être en butte à un contrôle policier de tous
les instants et victimes de discriminations inacceptables, notamment à
l'embauche ou dans l'accès au logement.
Pour lutter contre les humiliations et retrouver leur dignité, certain(e)s
jeunes de confession musulmane, inspiré(e)s ou non par des imams
fondamentalistes, ont choisi de mener une bataille politique pour le droit des
jeunes filles à porter le voile à l'école, ou dans les services publics en tant
que salariées. C'est se tromper de lutte. Le principe de séparation entre les
Eglises et l'Etat obtenu en 1905 est le résultat d'un combat de plus d'un
siècle pour la liberté de conscience et contre les prétentions de l'Eglise
catholique à gouverner le pays selon ses normes. La laïcité est une chance :
c'est la possibilité pour les jeunes d'apprendre à se connaître et à se respecter
indépendamment de leurs affiliations religieuses ; à l'inverse, la
multiplication des signes religieux à l'école risque d'encourager la division
et tous les sectarismes. La laïcité, c'est la garantie que la liberté
d'enseignement et de discussion ne sera pas limitée par des normes religieuses.
Aujourd'hui, il ne faut pas moins mais plus de laïcité : suppression du
concordat en Alsace et Moselle ; suppression des aumôneries dans les collèges
et lycées d'externat ; suppression des subventions publiques aux écoles
privées. Proposer cela, ce n'est pas remettre en cause le droit d'exercer son
culte. C'est considérer que l'engagement religieux est une affaire privée et
que l'école n'a pas à connaître les convictions religieuses des unes et des
autres pour faire son travail d'éducation. Par ailleurs, les musulmans doivent
pouvoir faire construire des mosquées sans tracasseries administratives.
Au nom de la solidarité avec les jeunes des quartiers populaires contre le
racisme, certaines personnalités nous invitent à censurer nos critiques à
l'égard du voile. Elles se trompent. Quel que soit le sens donné à titre
personnel par une minorité de jeunes filles musulmanes au port du voile (et
nous savons qu'il est multiple), le port du voile prend le même sens dans toutes
les religions monothéistes, à partir du moment où il est présenté comme une
prescription religieuse incontournable. Ce n'est en rien un symbole
d'émancipation. Il s'agit, par ce biais, de stigmatiser le corps des femmes
comme la source de tous les péchés, d'assimiler le désir sexuel et la sexualité
à quelque chose de honteux. C'est un moyen de faire le tri entre les femmes
«pudiques» et les autres. Les femmes non voilées, musulmanes ou non, sont ainsi
désignées comme «impudiques» et rendues responsables des agressions et des
viols qu'elles peuvent subir.
Nous avons combattu pour la liberté des femmes à disposer de leur corps, avoir
les moyens de contrôler leurs maternités grâce à la contraception et à la
liberté d'avorter en cas de besoin ; nous avons combattu pour que les femmes,
comme les hommes, puissent exercer librement leur sexualité dans et hors
mariage, sans être insultées ou stigmatisées. Ce combat reste d'actualité à la
fois parce que le gouvernement sabre les budgets sociaux, mais également parce
que la vieille morale traditionnelle qui veut enfermer les femmes adultes dans
une fonction prioritaire, celle d'épouse et de mère, retrouve une nouvelle
vigueur. Nous dénonçons également les partisan (e) s des nouvelles normes
néolibérales qui assimilent la liberté à la liberté du marché, la prostitution
à un choix, et la multiplication des références porno- graphiques dans la
publicité à une émancipation sexuelle.
Les féministes et les antiracistes sont divisés sur l'opportunité d'une loi ou
pas, sur la conception même de la laïcité, mais nous pensons toutes et tous que
la défense de la laïcité et de l'égalité des sexes mérite mieux qu'un débat
simplificateur par médias interposés et que le projet de loi gouvernemental
électoraliste qui a réussi à nous diviser. Malgré nos divergences,
associations, partis et syndicats devons retrouver le chemin de l'unité face au
développement de la pauvreté qui touche en particulier les jeunes et les femmes
seules avec enfants, face aux menaces multiples qui pèsent sur les droits des
femmes, des chômeurs et des salariés des deux sexes. Seul le développement de
l'action unitaire peut aider à sortir des replis identitaires.
Le 8 mars doit être l'occasion pour toutes les féministes et toutes celles et
tous ceux qui veulent défendre les droits des femmes de se retrouver.
Contact : colcadac@club-internet.fr
(Article paru dans Libération :
mardi 27 janvier 2004)