La
pointe de l’iceberg intégriste devient visible sur la scène altermondialiste
Aujourd’hui, le gouvernement cherche à amadouer
l’électorat du front national sur la sécurité et l’immigration. D’autre part,
il joue le jeu des organisations islamistes et des institutions religieuses en
attisant le débat sur le voile sans véritable intention de trancher en faveur
des femmes. Le racisme frontiste et les intégrismes religieux se nourrissent de
cette politique de l’autruche, qui nie sa dimension sexiste. Le voile islamique
est plus qu’un insigne religieux, c’est un vêtement symbolique et médiatique.
Il concerne autant les mineures que les adultes. Doit-on en déduire, que par
crainte de représailles ou dans une visée électoraliste, il vaille mieux fermer
les yeux sur certains piétinements des fondements de la démocratie moderne
: la liberté et l’égalité des droits des femmes ?
L’islam
« réformiste » à la française se propose
d’ « humaniser » le féminisme. Ces « féministes »
islamistes suivent et participent aux débats féministes sur le web et
participent au Forum Social Européen 2003, car ils sont aussi
« altermondialistes ». Cette élite islamiste, qui se fait entendre en
utilisant les outils multimédias, alimente un réseau d’associations ;
celles-ci affirment soutenir les tentatives d’ « émancipation »
des filles et des femmes sous le voile. L’accès aux textes « sacrés »
leur permet de revendiquer en France de « nouveaux droits » au nom de
la religion, que la famille leur refuse
au nom de la tradition.
Pourtant
ces droits leur sont déjà acquis par la législation
française ! Spécialisés dans les affaires de droit, ces activistes
islamistes, au langage feutré et double, proposent une définition
« moderne » de l’identité de la française « musulmane ».
Qui décidera que je suis française ou musulmane ? Est-ce ma nationalité,
mon pays d’origine, mon faciès, mon nom ? Est-ce un retour à la loi de la
tribu, du clan, de la chapelle (mosquée) pour les femmes ?
La
française « musulmane », pour ces militants, est avant tout une
épouse et une mère, elle n’a point de salut hors du mariage. Le mari a
l’autorité sur son épouse, il est le seul responsable de la survie de la
famille, le chef de famille et le garant de l’éducation. La soumission au mari
est un devoir religieux.
Le
mari peut l’autoriser à la contraception, choisit la relation sexuelle et ses
modalités, peut satisfaire sa jouissance et celle de son épouse, mais en
contrepartie, elle ne doit rien lui refuser. Le mari a le droit de punir
l’indocilité, la désobéissance, la rébellion dans la sexualité conjugale. La
frustration sexuelle masculine est la seule pulsion violente autorisée !
La « musulmane » garde le droit à l’éducation, à toutes activités
professionnelles (avec réserves), de rester au foyer, de refuser un mariage
sans son consentement, de divorcer. Mais elle peut aussi conclure un mariage
avec clause sur la « polygamie » et le « droit au
travail ». Elle devra attendre une « fatwa » pour avorter.
Pourtant, la polygamie est interdite en France et il y a une loi autorisant
l’avortement. Et l’autorité parentale
partagée et l’égalité des époux sont des droits français acquis. On l’aura
compris, ces droits sont « progressistes », si l’on se réfère à la
situation de nos grand-mères et de nos mères, qui n’osaient espérer tant de
« respect » : droit au divorce, à la contraception,
reconnaissance du viol comme crime.
La
règle est stricte, la « musulmane » doit se prévenir de toute
tentation sexuelle et n’a qu’un désir, l’obéissance au mari. Elle doit éviter
tout contact avec les hommes : pas de « poignées de main », de
copain, d’ami, d’amant. Le cadre légal de sa sexualité est le mariage
hétérosexuel. Ces conditions font référence à la charia, qui punit l’adultère,
la fornication et l’homosexualité. La demande de piscines non mixtes, le refus
des cours de gymnastique et de biologie découlent de ces interdits. Deux
dangers guettent la « bonne » musulmane : pour les islamistes,
la mixité de l’espace public et pour les féministes, le viol conjugal.
Le
voile islamique est un symbole et un statut. Historiquement, signe d’invisibilité du corps et de reconnaissance
sociale, ce symbole et signe vestimentaire définit un statut. Si l’invisibilité
a toujours été justifiée au nom de la protection contre la violence des hommes,
la visibilité sert aujourd’hui à affirmer un droit à la tenue islamiste, très
médiatique.
Il
est demandé aux femmes de porter une ceinture de chasteté : l’honneur de
la famille, la pureté et la virginité sont leur fardeau. C’est au nom de la
pudeur et de la soumission que les femmes « musulmanes » se laissent
stigmatiser. Redéfinir de « nouveaux droits » au nom de la religion
n’a rien de nouveau. Chacun-e reconnaîtra dans ces droits
« revisités » la main de fer dans un gant de velours, dont nos
grand-mères et nos mères ont desserré l’étreinte étouffante, quand l’église
catholique régissait la vie des individus et des groupes. Les actuels débats
sur les limites de la liberté religieuse peuvent faire vaciller les principes
de mixité et de laïcité, si l’on perd de vue, sans prendre garde, les droits
des femmes. Car aucune religion ne respecte le droit des femmes à disposer
librement de leur corps.
Le voile islamique est aujourd’hui en
Europe un cocktail molotov pas encore dégoupillé ; les ingrédients en sont
symboliques et médiatiques :
·
Un trophée pour l’homme qui exhibe sa victoire, comme preuve
de virilité.
·
Un porte-drapeau des valeurs de l’islam auxquelles les
femmes doivent obéir.
·
Une protection contre les violences familiales.
·
Une alternative au « vice » de la société « pernicieuse ».
·
Une tenue de combat pour se distinguer des autres
« musulmanes » et des « mécréantes ».
Pour cela, on n’hésite pas à mettre en
avant les spécificités des « identités culturelles ». Sous couvert
d’un droit à la religion, les organisations islamistes mènent une lutte pour la
reconnaissance de l’islam, comme seule référence, porteuse de valeurs et de
loi.
Démontrer
que le débat sur le voile est déjà dépassé est le but des intégristes ; il
ne s’agit que de choix individuels et privés, en aucun cas politiques. Du privé
(les femmes), il est urgent de se dégager pour s’occuper de politique et
d’économie. La seule question urgente est celle de la citoyenneté au nom de
l’islam, pour peser un poids électoral. Et là, il n’est plus question des
filles et des femmes.
Rénover
les figures de la sainte et de la putain sert à faire pression sur les femmes. Erigés en système contre les
femmes, la culpabilité et le sacrifice sont des moyens efficaces, puisque déjà
intériorisés. La femme voilée croit en sa supériorité morale sur la
« non-voilée ». Le voile islamique entrave et voile le désir des
femmes, mais va les protéger du « péché », par le contrôle et
l’enfermement de leur corps dans un bout de chiffon, le signe vestimentaire qui
doit éteindre le désir de l’ « autre ». Le voile comme le string
ont été inventé pour les hommes.
Etre
l’épouse « obéissante » mais aussi la « bonne » mère est
rassurant ; la « bonne » mère est associée dans l’imaginaire
collectif au dévouement total à la famille et aux enfants. La
« bonne » mère croît aussi à sa supériorité morale ! Mais la
mère « toute puissante » est dangereuse dans le fantasme des hommes.
L’enfermement et l’obéissance des femmes ne calme pas la violence masculine.
Coupables par essence, les nouvelles « saintes », visibles et
médiatiques, payeront les fautes de leurs sœurs « putains » et
porteront sur elles la honte d’élever des filles trop « libres »,
trop « désobéissantes », trop « occidentales », que les pères
et les frères puniront.
La
putain est la cible idéale. Sous la poussée internationale, la violence
masculine est un marché en expansion,
trop juteux (armement, cinéma, vidéo, TV) pour arrêter son expansion. Il
faut seulement en juguler les effets les plus visibles. Il devient alors
préférable de canaliser la violence que de lutter contre ses causes. La femme
« non-voilée » devient-elle une putain potentielle, désignée pour
être le mauvais objet que les hommes convoitent ?
La
demande est forte et il faut la satisfaire. Maintenant que le secteur des
services est ouvert à l’industrie du sexe, le marché veut réglementer le droit
« à la prostituée » pour libéraliser et intensifier les trafics.
Aucune femme n’est à l’abri des effets de la publicité, de la pornographie, des
clubs échangistes, des tournantes, des proxénétismes, qui sont autant de moyens
de dressage de la sexualité des femmes. Les islamistes, en Algérie et ailleurs,
ont adopté le principe du « mariage de complaisance » pour légitimer
l’enlèvement et le viol des « mécréantes ». Le « droit »
des hommes à obtenir des femmes est facilité et encouragé. Quand va-t-on juger
les Ben Laden pour la « consommation » d’un nombre de femmes jamais
comptabilisé ?
Les
idéologies religieuses ont toujours fourni des arguments puissants pour
précipiter en « enfer » des filles « perdues » en nombre
suffisant. Les « pécheurs », confortés par la suprématie de leur
sexe, sont sauvés par leurs épouses restées chastes et prudes. Les « filles
perdues » pourront ainsi grossir les rangs du marché du sexe, du travail
précaire, du temps partiel, de la clandestinité et de l’exclusion sociale.
Le
marché du sexe veut obtenir des marchandises renouvelables. La criminalité
organisée a gagné en légitimité grâce au poids qu’elle pèse dans les nouveaux
systèmes financiers internationaux. L’économie exploite la violence, le sexisme
et le racisme ; n’est-ce pas incompatible avec les lois sur l’égalité
entre hommes et femmes ? ou les lois actuelles ne sont-elles pas suffisantes ?
ou pas appliquées ?
Cette
idée de diviser les femmes en deux catégories aliénantes et de porter aux
débats, en même temps, le voile et la prostitution ne vise-t-elle pas de nous faire croire que la
société ne peut respecter la liberté et l’intégrité des femmes ? Que la
violence masculine est inéluctable et que la situation d’infériorité des femmes
est ancestrale et fatale face à l’application du droit ? Le féminisme
universaliste doit être mis en débat. L’égalité restant abstraite, autant
offrir aux femmes l’équité (à chacun son dû), sans garanties juridiques. Les
lois sur l’égalité et contre les discriminations sont plus faciles à
appliquer pour les hommes ! Autant contenter les libéraux et renverser
cette utopie démocratique, qu’est l’égalité entre hommes et femmes, surtout
pour le marché du travail formel, informel et domestique. Certains sont trop
facilement convaincus que les féministes du mouvement de libération des femmes
devraient enfin ! admettre qu’elles ont échoué.
Chantal
Melliès, Salima Deramchi, Bernice Dubois, feministe_laique@yahoo.fr