Islamophobie ou obscurantophobie ?

                                     

                                            Par Doucha Belgrave

 

 

Ainsi donc, sur « l’affaire » de la loi contre le voile à l’école, de nombreux bien-pensants – dont nombre de nos camarades de lutte pour une paix juste au Proche-Orient – nous rappellent au politiquement correct. A savoir :  ne pas nous retrouver – gens de gauche -  dans l’exécrable compagnie des autres « favorables » à la loi (comme Sarkozy, Chirac and co). A ces camarades-là , je répondrai tout d’abord que le voisinage des « contre » n’est guère plus reluisant (Madelin, Le Pen, les diverses obédiences religieuses, et jusqu’aux ayatollahs iraniens). C’était juste pour me passer les nerfs. Passons aux choses sérieuses.

 

Je relis les différents courriers électroniques : les « contre » parlent beaucoup de liberté et de loi liberticide. C’est un comble car enfin de QUELLE liberté s’agit-il ici ? Ignore-t-on, parmi les camarades censément informés, que la religion quelle qu’elle soit n’est jamais instrument de liberté mais bien de coercition ? Soumission à l’état des choses et des fortunes prêchée par l’Eglise catholique jusqu’au siècle dernier. Soumission à « l’ordre divin » et aux hiérarchies cultuelles censées le représenter (en Occident chrétien, la moindre résistance individuelle  a fait flamber des bûchers – sous des femmes principalement - pendant quelque 300 ans). J’évoquerai également le statut mineur, minoré,  des femmes dans le christianisme (ainsi que dans le judaïsme, d’ailleurs), tous « statuts » aménagés par les théologiens très divers (mais tous patriarcaux) au nom de la vraie foi et en toute mauvaise foi.

Heureusement – et Dieu merci !  – dans ce pays,  la religion jusqu’alors omnipotente a lâché depuis un siècle son emprise totalitaire sur les vies et les consciences. Ca ne s’est pas fait tout seul : il y fallut la lutte acharnée des progressistes laïcs. Puis une loi (de séparation de l’Eglise et de l’Etat). Les mœurs et l’apprentissage de la liberté individuelle suivirent peu à peu. Tant bien que mal. Mais plutôt bien que mal.

 

Religion plus « neuve », l’islam, lui, est en constante expansion. Il concerne actuellement quelque 800 millions d’individus (dont plus de 400 millions d’individues). OR, le moins qu’on puisse dire et penser est que cette religion – comme toutes celles qui furent prégnantes avant elle – est discriminante pour la moitié de ses croyants : les croyantes. Plus exactement, une partie de ses « aménageurs » fondamentalistes ont vu l’utilité d’appuyer sur le Dogme religieux l’asservissement millénaire des femmes (en contradiction avec de nombreuses sourates initiales, célébrant les femmes comme des égales et « des chemins vers Dieu », sourates soigneusement expurgées du Coran par la suite). C’est ce qu’ont fait – je le répète - les exégètes du christianisme et du judaïsme. Procédé généralisé donc, permettant la reconduction ad aeternam (au nom de Dieu, c’est imparable) du processus phallocentriste  d’infériorisation des femmes pour le plus grand profit des hommes. Le tout en brandissant le Livre (comme un Directeur de prison le Règlement intérieur de son établissement).

 

Les conséquences sont effarantes dans les pays fondamentalistes : séquestrations, mariages forcés ou « temporaires », polygamie, servage, répudiations, réduction au seul statut de procréatrices (et de mâles s’il vous plaît), mutilations et exécutions capitales pour les résistantes.

Sous nos yeux, ici, maintenant, et pour un nombre croissant de nos concitoyennes musulmanes : l’exclusion de la vie sociale et professionnelle, la réclusion domestique, les mariages « arrangés », le maintien dans les seules tâches domestiques et nourricières, les interdits vestimentaires sous peine de violences inouïes, et tout au bout de la chaîne  – partie ostensible voire ostentatoire de l’iceberg – le port obligé de burqas, voiles et autres tchadors. Pour l’immense majorité des femmes, en effet, le port du voile est contraint, y compris en France où les croyantes savent discerner l’injonction – à tout le moins la pression -  derrière les hypocrites :  « c’est préférable », « c’est protecteur », «c’est digne d’une bonne croyante », « c’est l’expression de la liberté » (ô ironie !).

 

Comment ? Islamophobie dites-vous ? Le mot est à la mode chez les promoteurs fondamentalistes, je sais. Dans certaines bouches, il est très voisin d’arabophobie voire de racisme. Néanmoins, on peut encore, je l’espère, dans ce pays - et sans craindre une fatwa -  critiquer une religion si elle devient liberticide et quand bien même ses dévots ressortiraient d’une communauté elle-même discriminée. Ne pourrait-on plus dire que le fondamentalisme musulman est venu bousculer les principes d’égalité difficilement acquis par les féministes depuis à peine trente années ?

 

N’en déplaise à ses thuriféraires,  Tariq Ramadan m’apparaît très clairement comme un tenant, un promoteur très zélé du fondamentalisme. Sa rhétorique est celle des Jésuites au moment de la grande Catéchisation : les séductions patelines, les joutes oratoires sur la tolérance, les rassurements « jésuitiques » sur l’absence d’ambitions apparaissaient aux bons pères de la foi des MOYENS plus propices à l’évangélisation universelle  que les brutalités trop voyantes de la Sainte Inquisition.

 

Certes, les intégristes de tout poil n’ont pas le monopole du phallocentrisme mais cela n’excuse en rien ceux qui utilisent la religion pour maintenir un sexe dans la dépendance.

Car contrairement à ce que nous avions cru (et à ce que  semblent croire encore ces jeunes filles voilées qui défilaient contre la loi Dimanche dernier, en parlant de liberté et d’égalité), le voile n’est pas prescrit par le Coran. Son port est d’abord le MARQUAGE D’UN SEXE SUR L’AUTRE,  un symbole de soumission à l’ordre patriarcal, le signe ostentatoire d’une identification uniquement cultuelle (et par là-même effroyablement restrictive) des filles et des femmes.

 

De plus, et nous le voyons toujours davantage, il y a également dans ces « affaires » de foulard une réelle tentative de certains activistes musulmans d’instaurer en France un islam politique en lançant ainsi, contre les grilles des écoles, ces petits chevaux de Troie de l’islamisme radical. Il s’agit là d’une scandaleuse exploitation du réel problème posé par la ségrégation des communautés pauvres dans ce pays, une exploitation visant à conforter la religion islamique et lui voir attribuer un rôle de médiation sociale. Or, que l’on sache, tous les Français d’origine maghrébine ne sont pas des musulmans pratiquants. Et c’est nier la réalité de l’exclusion des communautés maghrébines : la cause est raciste et non pas islamophobe et l’échec ou plutôt l’absence de politiques d’intégration ne peut être réduite à un choc des religions comme voudraient le faire accroire certains fondamentalistes visant ainsi à rameuter de nouveaux fidèles.

 

Il nous appartient donc – au lieu de rentrer dans ce jeu - de poursuivre nos actions (ou de les entreprendre enfin) au sein de groupes militant contre l’ostracisme et le racisme.   

 

Aussi, comme je le fais pour critiquer la politique d’Ariel Sharon sans me soucier (trop) d’être taxée d’antisémitisme, je procéderai de même pour ma critique de l’islam radical sans (trop) craindre de passer pour une raciste primaire voire secondaire. Et je combattrai l’obscurantisme et la discrimination au nom des Droits de l’homme ET DE LA FEMME (laquelle, nous l’avons remarqué, n’est pas forcément incluse dans le masculin quand il s’agit de droits).

 

Des droits pour lesquels NOUS nous sommes battu, nous nous battons encore et nous nous battrons toujours tant qu’il restera des laissé(e)s-pour-compte. Je ne vois pas bien, en effet, pourquoi notre indignation (justifiée) quant au sort réservé aux Palestiniens s’arrêterait aux portes de la discrimination inique des femmes, toute ordinaire et millénaire qu’elle soit.

 

Nous sommes quelques-unes (et quelques-uns aussi) à avoir travaillé, dans notre pays, dès la première heure, à redresser la barre bien distordue du phallocentrisme d’alors. C’était un crève-cœur, je m’en souviens : il y avait toujours des femmes pour dénigrer nos luttes au nom de « l’inégalité éternelle », « de l’infériorité biologique », de la soumission à l’ordre des choses… Autre crève-cœur pour mémoire : nous avons eu aussi à faire avec l’hostilité déclarée de nos camarades de luttes sociales qui, eux, nous accusaient de diviser les forces révolutionnaires par des revendications somme toute « catégorielles ». Je m’en souviens : ils oubliaient que la catégorie en question et nos revendications concernaient une bonne moitié de la population mondiale.

 

Nous avons quelques temps pensé obtenir des avancées pour les femmes par – je m’en rappelle - le seul rappel des injustices criantes qu’elles subissaient et des droits les plus élémentaires qui leur étaient déniés. Il n’en fut rien. Nous avons dû constater que jamais les pouvoirs ne lâchaient prise sinon par force…de loi. En l’occurrence, et jalonnant nos luttes :

-         loi pour la libéralisation de l’avortement (illégal et réprimé jusqu’alors)

-         loi pour l’information sur la contraception

-         loi pour la criminalisation en Assises du viol (qualifié jusqu’alors en simple délit d’attentat à la pudeur…)

-         premiers procès (amenant jurisprudences) sur l’inceste, les violences conjugales, le viol conjugal  (crimes jamais portés en justice jusqu’alors)

-         premiers procès (amenant jurisprudences) contre des exciseuses opérant en France (il y avait morts de fillettes). A ces occasions, nous avons été stigmatisées par certains camarades (tous n’étaient pas africains) au nom du « respect des cultures »,  d’une ingérence inadmissible, « néo-colonialiste » (une vraie tare !), dans les us et coutumes d’un peuple opprimé et soumis par la France.

-         loi contre le racisme puis contre le sexisme (pénalisation des injures, des assertions et des propos dégradants sur les étrangers et sur les femmes).

-         loi contre la discrimination des femmes à l’embauche (puis par extension des immigrés à l’embauche). Illégale, la discrimination s’opère néanmoins de façon détournée (mais justiciable) .

-         loi sur la parité enfin, récemment, alors que la France stagnait sans vergogne dans les bonnes dernières en matière de féminisation des instances représentatives et de pouvoir exécutif.

 

Ces textes ont été assortis, par nos luttes également, d’une série d’avancées en tous domaines :

-         suppression de la tutelle  millénaire des époux sur les épouses (jusqu’en 1975, en France, une femme mariée ne pouvait ni emprunter, ni acquérir de biens sans autorisation de son époux, ni disposer d’un compte bancaire indépendant, ni utiliser son nom de jeune fille)

-         suppression de l’engagement « d’obéir à son époux et de le servir » dans les serments de mariages (eh oui, il fallait jurer cela !)

-         instauration des divorces par consentement mutuel et de l’autorité parentale partagée pour les enfants (jusqu’alors sous autorité uniquement paternelle)

-         suppression progressive de l’opprobre jeté depuis toujours sur les « filles-mères » (promues , à la fin des années 1970, « mères célibataires » ou « chefs de famille monoparentale » ; ne souriez pas : dans la lutte contre les stigmatisations, les mots ont une grande importance).

 

Comme toujours, il y eut des freins, des reculs, des contournements. Mais rien n’a été tout à fait comme avant, puis plus rien n’a été comme avant. Au point que nos filles haussent des sourcils étonnés quand nous leur disons que les libertés dont elles jouissent n’ont pas toujours été accordées et qu’elles sont le fruit de luttes dures. Et ingrates.

 

Aussi, assez de mauvais procès, s’il vous plaît : la liberté religieuse ne sera pas remise en cause dans ce pays par une loi contre le port ostensible du foulard. Certes, - et par l’activisme incessant des catéchumènes évoqués plus haut - cela n’empêchera pas les voiles de recouvrir, partout ailleurs qu’à l’école, les têtes et les corps de filles de plus en plus jeunes (comme nous le voyons depuis un couple d’années). Mais il y aura pour elles, quelque huit heures par jour, un territoire NEUTRE (laïc, donc) où elles pourront, comme tout une chacune, être mille autres choses que les pratiquantes, les tenantes (les détenues) d’une religion.