Intervention portant sur le programme du Front National lors d’une réunion publique du CNDF (4 juin 2002), organisée à la suite du premier tour des présidentielles où Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen étaient arrivés en tête.

 

Le fn et le mnr contre les femmes.

 

Malgré un discours public qui se veut plus moderne au sujet des femmes et de notre place dans la société, le FN et le MNR demeurent tout autant misogynes, sexistes et lesbophobes que racistes, xénophobes et antisémites, comme le montre clairement leur programme[1] articulé autour de la préférence nationale, la préférence familiale et l’ordre moral.

 

La préférence nationale :

 

      La préférence nationale - que le FN et le MNR veulent intégrer « d’une manière claire et indiscutable » dans la Constitution et appliquer à tous les domaines afin d’assurer « la pérennité de la nation » - , constitue une politique d’hostilité permanente envers les étranger/e/s. La préférence nationale n’est évidemment pas une atteinte aux droits des seules femmes étrangères, elle touche aussi les hommes étrangers. Cependant, les femmes étrangères, immigrées et sans-papiers subissent des discriminations cumulées, à la fois racistes et sexistes, qui les placent dans une précarité très importante.

 

En matière d’emploi, ce serait ainsi la priorité d’embauche donnée aux Français/e/s, mais aussi la priorité de licenciement imposée pour les étranger/e/s. « Un système de taxation du travail étranger » très dissuasif pour d’éventuels employeurs, ainsi qu’un système administratif faisant sévèrement obstacle à l’emploi d’étranger/e/s sont également préconisés par le FN et le MNR.

 

En matière de solidarité, l’attribution des logements sociaux, des prêts immobiliers, des allocations familiales et des aides sociales seraient exclusivement réservées aux Français/e/s. Le FN prévoit également une séparation des caisses de sécurité sociale entre les étrangers et les Français.

 

En matière de citoyenneté, le FN et le MNR veulent abroger le droit du sol, supprimer l’acquisition automatique de la nationalité française, priver les ressortissant/e/s européen/ne/s de leur droit de vote et d’éligibilité aux élections européennes et municipales et soumettre à agrément les associations d’étranger/e/s.

 

Pour ce qui est de l’immigration, le FN et le MNR prévoient d’y mettre fin, et donc d’interdire le regroupement familial en France – ce qui atteindrait directement les femmes -, de limiter le droit d’asile aux « seules personnes persécutées du fait de leur engagement politique et cela dans la limite d’un quota annuel » - les femmes persécutées en raison de leur sexe ou de leur sexualité en seraient évidemment exclues -, de renforcer les polices aux frontières, et de multiplier les contrôles d’identité et d’expulser sur-le-champ toutes les étrangères et tous les étrangers en situation irrégulière.  

 

Le FN et le MNR veulent enfin abroger les lois protégeant les étranger/e/s contre les discriminations racistes et xénophobes qui selon eux n’ont d’autre but que de permettre « à des minorités, aussi bruyantes que restreintes, de s’ériger en police de la pensée ». Le FN et le MNR façonnent ainsi de multiples visages de la population étrangère (envahissante, délinquante, produisant trop d’enfants…) au gré des besoins de leurs discours démagogiques et manipulateurs, incitant à la haine raciste et xénophobe.

 

La préférence nationale, c’est donc la mise en place d’un système social exclusif et discriminant, sur des bases nationalistes, xénophobes et racistes. Pour les sans-papières, ce serait le retour vers un pays qu’elles ont souvent fui en raison de menaces et de persécutions sexistes et lesbophobes, de viols et de violences sexuelles, d’atteinte à leur corps, à leur liberté et à leur dignité ; pour les demandeuses d’asiles, ce serait encore plus de difficulté à faire reconnaître les persécutions spécifiques qu’elles subissent en tant que femmes ; pour les immigrées, ce serait une précarisation encore plus grande en matière d’emploi et de logement ; pour toutes, ce serait le durcissement d’une triple oppression : la surexploitation économique, le racisme et le sexisme. Les mesures nationalistes voulues par le FN auraient donc des conséquences d’autant plus graves pour elles que ce sont des femmes.

 

La préférence familiale :

 

            Pour combler le déficit de « 100 000 naissances françaises » qui, selon le FN, font annuellement défaut à la France pour assurer le renouvellement des générations, le FN et le MNR, par l’instauration de la préférence familiale, politique à la fois nataliste et nationaliste, s’approprient les femmes et mettent leur capacité de reproduction au service de la Nation. 

 

La préférence familiale se compose de deux volets, un volet répressif et un volet incitatif.

 

Plan d’agrandissement des familles françaises par grossesses imposées, le volet répressif nie le droit des femmes à disposer librement de leur corps et à choisir leur vie.

Le FN et le MNR prévoient en effet d’abroger les lois sur l’IVG, et donc de remettre en question le remboursement de l’avortement, la légalisation du RU 486, la distribution de la pilule du lendemain dans les établissements scolaires, le droit des mineures à avorter sans l’autorisation parentale, et l’allongement du délai légal pour avorter de 10 à 12 semaines.

Le droit à la vie, de la conception à la mort naturelle, serait alors inscrit dans la Constitution. Le fœtus, dès sa conception, serait ainsi considéré comme une personne humaine. L’avortement redeviendrait donc passible de très lourdes pénalités pour les femmes qui avorteraient.[2]

Comme alternative à l’avortement, le FN et le MNR veulent instaurer l’adoption prénatale qui permettra à tout couple marié, hétérosexuel et français, ne pouvant pas avoir d’enfant, d’adopter l’enfant à naître d’une autre femme. Les femmes, propriété de la Nation, se verraient ainsi dans l’obligation de procréer malgré elles. Elles deviendraient des mères-porteuses non-indemnisées.

Inscrire dans la Constitution le droit à la vie d’une cellule à peine fécondée sans tenir compte de la femme qui sera amenée à payer de son corps pour en faire un enfant et forcer les femmes à procréer indiquent bien le peu de cas que le FN et le MNR accordent à la liberté des femmes et à notre autonomie.

 

Réduisant les femmes et les enfants à naître à des objets marchands, le volet incitatif comprend, lui, des avantages pour les familles dites « légitimes » et françaises.

Tout d’abord, plus les familles françaises seraient nombreuses, plus elles bénéficieraient des aides sociales, des allocations familiales et d’un système de retraites privilégié. Le FN et le MNR prévoient également d’instaurer un « prêt familial au logement » dont le remboursement serait différé à chaque nouvelle naissance.

L’instauration du suffrage universel intégral, anciennement appelé vote familial, en donnant le droit aux parents d’exercer le droit de vote de leurs enfants mineurs, devrait aussi permettre aux familles d’avoir d’autant plus de poids électoral qu’elles sont nombreuses. Le suffrage universel intégral donne ainsi le droit aux parents d’usurper la volonté politique de leurs enfants mineurs. Il nie à ces derniers toute conscience politique et toute autonomie vis-à-vis de leur famille ; il est un soutien obligé et inconditionné des mineur/e/s aux valeurs de leur famille.

L’instauration d’un revenu parental d’éducation, autrefois appelé salaire maternel, permettra aux parents de percevoir une rémunération pour se consacrer à plein temps à l’éducation de leurs enfants. Mais étant donné l’inégalité des salaires et le poids des traditions, on sait bien à quel parent reviendrait le devoir de rester au foyer ! D’ailleurs, c’est uniquement pour les femmes que le MNR prévoit de « faciliter l’exercice d’une profession grâce à l’aménagement des horaires et des dates de congé ainsi que par la création de crèches à proximité des lieux de travail », ainsi que d‘« aider au développement du travail à temps partiel et du télé-travail qui <leur> permettent de concilier leurs exigences professionnelles et familiales ». La question de l’« aménagement du temps de travail », doux euphémisme pour « double journée de travail », professionnelle et domestique, n’est évidemment jamais posée pour les hommes.

De plus, ce revenu parental d’éducation discrimine les enfants entre eux. Pour le FN, la vie des deux premiers enfants vaut en effet trois ans de salaire, alors que la vie du troisième enfant en vaut 18. Le revenu parental d’éducation est donc clairement une mesure nataliste poussant à la naissance d’un troisième, et même d’un quatrième enfant. Car, si les quatre naissances sont bien programmées, ce revenu parental peut être versé jusqu’à l’âge de la retraite.

            Une dernière mesure nataliste significative est la création d’un statut pour les mères de familles françaises. Il s’agit non pas de donner à l’ensemble des femmes, mariées ou célibataires, avec ou sans enfants, des droits attachés à la personne, des droits propres et individuels, mais des droits en fonction de leur rôle social de mère de famille. Les programmes du FN et du MNR ne font aucune place aux femmes en tant qu’individues à part entière et autonomes.

 

La préférence familiale est donc une politique nataliste qui vise à renforcer la structure familiale traditionnelle, à restreindre la liberté et les droits des femmes, à légitimer leur appropriation, à les réduire et à les contraindre à un rôle de procréation et d’éducation.

La préférence familiale, c’est  aussi une valorisation et une consolidation de la famille traditionnelle, « seul lieu – selon le FN - où les êtres trouvent l’affection nécessaire à leur épanouissement et la solidarité qui leur est indispensable dans les épreuves de la vie». Cette mythification de la famille implique évidemment l’invisibilisation, voire la négation de toutes les violences subies au sein de la famille et du couple : violences domestiques, parfois mortelles, des hommes envers les femmes, incestes, viols conjugaux…. Le FN et le MNR n’évoquent évidemment jamais ces violences lorsqu’ils parlent d’ « insécurité ».

 

Un programme d’instauration de l’ordre moral.

 

La famille, lieu du renouvellement des générations et de transmission des valeurs identitaires et traditionnelles, constitue le mode de vie unique que le FN et le MNR souhaitent imposer à chacun/e d’entre nous. Pour cela, ils cherchent à promouvoir le modèle de la famille, « cellule-mère de toute société », dont la pérennité et la légitimité seraient garantie par le mariage, et mettent alors en œuvre trois moyens de persuasion.

 

Tout d’abord, il s’agirait de lancer une campagne de propagande familiale visant à transmettre les « bonnes valeurs », celles dont l’extrême droite a besoin pour instaurer son pouvoir. Le MNR pense en effet « promouvoir l’image de la famille, notamment dans les médias, car la cellule familiale doit être respectée comme une institution essentielle à notre civilisation ». Cette promotion de la famille se ferait aussi à l’école où l’extrême droite entend « instaurer des cours de morale » chrétienne, bien entendu.

 

Ensuite, le FN et le MNR prévoient de mettre en place toute une série d’avantages civils, sociaux et fiscaux en faveur des familles dites « légitimes » et françaises. Le FN entend ainsi discriminer les femmes célibataires, divorcées, les femmes vivant en union libre, les lesbiennes, même si elles ont des enfants à charge. Car, les enfants naturels, même s’ils participent au renouvellement des générations, constituent pour le FN « un facteur de fragilité sociale ». Le MNR nuance ces propositions en élargissant l’attribution de ces avantages fiscaux et sociaux aux couples vivant en concubinage. Il n’en reste pas moins hostile à l’autonomie des femmes célibataires, divorcées ou des femmes n’adoptant pas un mode de vie hétéronormé, comme les lesbiennes.

 

Enfin, le FN et le MNR veulent instaurer des mesures liberticides. Par la promotion exclusive du mariage, de la famille traditionnelle et de l’hétérosexualité reproductrice, le FN et le MNR entendent en effet instaurer un ordre moral, familial et sexuel traditionnel. C’est pourquoi ils prévoient d’abroger le PACS (1999), « modèle sociétal régressif » dont la mise en place, selon eux, n‘avait qu’un but : permettre aux « couples homosexuels d’adopter des enfants » et encourager les « comportements déviants » des lesbiennes et des homosexuels. 

 

            D’autres mesures visant à renforcer la famille traditionnelle, dite « légitime », hétérosexuelle et patriarcale, ainsi que le système de domination des hommes sur les femmes sont également prévues par l’extrême droite.

Pour le FN, il s’agit de remettre en cause des lois simplifiant les formalités de divorce et permettant la séparation par consentement mutuel. Le FN ne tient évidemment pas compte des violences subies par les femmes au sein du couple, violences qui les poussent dans de nombreux cas à demander le divorce. Tout, pour le FN, vaut mieux que le divorce qui « fragilise un peu plus la société française. »

Dans cette même perspective patriarcale, le FN condamne également la loi réformant l’attribution du nom patronymique qui permet aux femmes de transmettre leur nom, ainsi que la loi sur la filiation qui permet aux femmes mariées de contester la paternité du père de leur enfant et de le reconnaître sous leur nom propre. Les femmes et les enfants doivent, selon le FN, appartenir aux hommes et donc porter leur marque : leur nom.

Etant donné cette volonté du FN de renforcer le système d’oppression des femmes par les hommes, il est à craindre que lorsqu’il déclare que « la mixité ne sera plus obligatoire » à l’école, il ne prévoit également un retour des programmes scolaires sexués, semblables à ceux de la fin du XIXe siècle, dans lesquels l’instruction des filles devait uniquement leur permettre de remplir leurs devoirs d'épouse, de mère et de maîtresse de maison. De plus, le FN prévoit d’abroger la loi de 1998 relative à l’obligation scolaire ». Après le retour des femmes au foyer, le risque serait aussi de voir les filles y être maintenues.

Le MNR, lui, programme la dépendance financière et économique des femmes vis-à-vis des hommes. Voulant « abandonner les pseudo-aides à l’emploi inutiles et coûteuses » et « rompre avec le mythe de la redistribution sociale qui ne contribue pas à la justice sociale et alourdit fortement les dépenses publiques », il n’est cependant pas sans ignorer que 80% des précaires sont des femmes et que c’est à elles principalement que ces aides feraient défaut. Le MNR les contraindrait ainsi à une dépendance encore plus grande vis-à-vis de leur famille ou d’un éventuel conjoint.

 

L’ordre moral allié à la préférence familiale, pour les femmes, c’est donc l’adoption obligée d’un mode de vie hétéronormé fondé sur la famille traditionnelle, « légitime » et patriarcale.

 

Pour assurer cet ordre moral exclusif et contraignant, le FN et le MNR entendent éduquer les esprits en instaurant une pensée unique alimentée par une culture unique. Le FN rappelle en effet dans son programme l’existence d’une « véritable culture française » supérieure aux autres, qui se différencie des expressions culturelles « qui, sur le plan moral ou politique, ne se préoccupe<nt> que de <dénoncer> le racisme, le colonialisme, le nazisme, le fascisme et plus récemment « l’homophobie ». » On comprend alors très bien de quelle nature serait la « bonne » culture que le FN entend répandre ! Encourageant cette « bonne » culture et censurant des cultures diverses et minoritaires, on se doute aussi que le FN étoufferait les cultures issues de l’immigration et les expressions culturelles féministes et lesbiennes ; et que l’histoire des femmes ne serait pas non plus mise en valeur dans un enseignement lui aussi normalisé.

 

            Dans ce même esprit de répression, le FN prévoit également de « sanctionner les manifestations publiques d’incitation à la débauche ». L’expression des cultures féministes et lesbiennes, de notre histoire et de nos revendications, puisque inspiratrices de liberté et d’autonomie, pourraient alors être aussi considérée comme du prosélytisme, voire des manifestations pornographiques incitant à la débauche, et donc censurée et sanctionnée au nom de ce principe. Nous perdrions, avec cette censure, tout droit à l’expression politique, culturelle et artistique.

Quant au MNR, même s’il considère que l’Etat « n’a pas à intervenir dans les relations privées entre personnes majeures », il pense néanmoins que ce dernier, « garant de la morale publique » doit « prohiber les atteintes publiques aux bonnes mœurs ». Il se propose alors, en assimilant pornographie et homosexualité, de combattre et « la pornographie <qui> se développe  aux yeux de tous », les « défilés publics des plus douteux comme la Gay Pride », « le prosélytisme des minorités en matière de mœurs ». Sous-entendant que le sida est une maladie exclusivement liée à l’homosexualité, il décèle ce prosélytisme même dans « les actions publicitaires contre le sida » qui se transforment selon lui « en instrument de propagande des mœurs ».

 

Ce même désir de contrôle et d’annihilation des libertés pousse aussi l’extrême droite à programmer la mort des associations par l’arrêt des subventions. Niant toute efficacité et utilité aux associations sans prendre en compte le travail effectué, entre autres, par différentes associations féministes en ce qui concerne les violences sexistes et/ou lesbophobes des hommes envers les femmes, les inégalités entre les femmes et les hommes, entre les femmes françaises et les femmes étrangères, immigrées et/ou sans-papières, l’extrême droite veut les voir disparaître. Subventionner ce genre d’associations, ce serait en effet admettre que ces problèmes existent et donc saper l’ordre moral dont l’extrême droite a besoin pour asseoir son pouvoir. Le MNR propose ainsi de « supprimer la politique de la Ville qui engloutit chaque année des milliards sans pour autant atteindre ses objectifs », et de réserver « les crédits publics aux seules associations politiquement et idéologiquement non engagées ».

 

Par leur volonté de restaurer un ordre naturel, familialiste et hétérosexiste, le FN et le MNR renforcent les valeurs dominantes et oppressives de l’hétéropatriarcat, et notamment la misogynie, le sexisme et la lesbophobie.

La lepénisation des esprits étant tout à fait réelle et de plus en plus diffuse, il s’agit de rester vigilant/e/s à ce que des éléments de cette idéologie ne soient pas repris par d’autres que l’extrême droite. Car, si le racisme départage plus ou moins clairement les options de la gauche et de la droite, ce n’est pas le cas du sexisme.



[1] Programme du FN : « Le Front National, un programme pour gouverner » sur http://www.front-national.com

Programme de Le Pen pour les présidentielles de 2002 consultable sur http://www.lepen.tv

Programme du MNR : « Pour que vive la France », programme élaboré le 30 septembre 2000, à Poitiers, consultable sur http://www.m-n-r.com

[2] Cependant, tout en considérant la vie comme « principe intangible relevant du domaine du sacré », le FN et le MNR, que l’incohérence n’effraie pas, préconisent pourtant, pour le premier, le rétablissement de la peine de mort, et, pour le second, la libéralisation de la détention d’armes.