Enjeux de la présence de Tariq Ramadan au FSE
Ce texte résume
un certain nombre de réflexions portant sur la participation de Tariq
Ramadan au Forum Social Européen. Les interrogations qui vont suivre se
réfèrent aux valeurs dont se veut porteur le FSE. En effet, le Forum
Social Européen se veut être, notamment, un lieu d’échanges et de débats pour
lutter contre les inégalités économiques et sociales. Nous supposons par
conséquent que le combat pour les libertés et les droits des femmes fait
partie des causes défendues par ce forum. Or, il nous semble que la
présence de Tariq Ramadan, invité à intervenir en séance plénière entre en
contradiction avec ces valeurs.
1- La vision
défendue par Tariq Ramadan repose essentiellement sur la promotion d’une
identité communautaire fondée sur la religion. Pour lui, l’Islam propose des
moyens aux individus musulmans pour se construire « une personnalité de
l’intérieur[1] » leur
permettant de « s’adapter à un environnement spécifique[2]
» Cette adaptation, selon lui, implique que la société française accepte
certaines spécificités telles que le voile. Pour lui, le port du voile par la
femme musulmane s’inscrit dans ce processus de construction d’une personnalité
de l’intérieur pour fonder une identité sociale solide. Le voile étant « une
manifestation de la soumission à Dieu» serait « l’élément d’une libération de
la femme, dès lors qu’elle ne soumet pas son être à l’imagerie masculine,
jamais totalement innocente[3] ».
Ce voile- rempart permettrait à la femme musulmane d’accéder à un statut
de citoyenne « participant pleinement à la vie sociale » tout en préservant sa
pudeur. Dans cette vision, la citoyenneté des femmes est conditionnée par la
gestion de leur sexualité dans le cadre défini par les normes religieuses. Au travers
d’un langage moderniste Tariq Ramadan prône tout simplement la stratégie
promulguée par différentes tendances islamistes. En effet, elles se
rejoignent sur la nécessité du contrôle de la sexualité des femmes pour
préserver l’ordre divin. Or, cet ordre, traduit clairement par les règles
et lois religieuses, inscrit les inégalités entre les deux sexes. Les
islamistes dits « éclairés » justifient cette inégalité par l’éloge d’une
harmonie des sexes reposant sur leur complémentarité. D’où la prééminence de la
notion d’équité comme alternative à l’égalité hommes-femmes, valeur critiquée
comme étant le fruit de la « culture occidentale ». Ce discours
instrumentalise les concepts de la lutte contre les injustices et les
discriminations au profit de la diffusion de l’islam politique comme une
alternative anti-impérialiste et anticolonialiste. Tenant compte de
l’évolution irréversible de la condition des femmes par l’accès à
l’éducation, au travail rémunéré et à l’espace public, il tente de la
canaliser. Le voile se présente dans ce contexte comme le passage obligé à une
citoyenneté communautariste. Il opère en même temps une nette distinction entre
« la femme musulmane pudique » et les autres non voilées, qui seront d’emblée
identifiées comme des femmes non –pudiques et par extension non dignes de
respect. Au mieux, elles seront désignées comme des brebis égarées, qui par
mimétisme finiront par intégrer leur identité « authentique ». Il n’est pas
très difficile de mesurer l’impact de cette logique dans la vie quotidienne de
centaines de milliers de jeunes filles et femmes non-voilées (majoritaires en
France). Le développement de ce type de discours, favorisé par l’image positive
d’idéologues comme Tariq Ramadan, ne fait que renforcer la pression directe et
indirecte qui s’exerce sur elles. Elles se verront, de plus en plus,
assignées à une sorte de résidence communautaire. Où est la place, dans ce type
de citoyenneté, pour les droits de la personne humaine ?
2- De la même
manière, Tariq Ramadan essaye de convaincre de la force de l’islam pour ramener
dans le droit chemin les jeunes « musulmans » souffrant d’une " crise
identitaire". L’identité culturelle, réduite à l’identité cultuelle,
serait le rempart contre les phénomènes de violence et de délinquance. Ces
faits sociaux qui témoignent de l’absence d’une politique forte de lutte
contre les inégalités, contre les discriminations et contre le racisme doivent
être combattus par l’éducation et la prévention. Alors que Tariq Ramadan
les renvoie, en dernière analyse, à l’absence d’une foi et de lois érigeant le
croyant dans le chemin licite. Il propose donc un retour vers la religion
pour remédier à des maux sociaux et politiques. Cette pseudo solution
semble exercer un réel attrait sur certaines instances politiques à la
recherche de remèdes face aux déficits de l’intégration. Il en va, apparemment
de même, pour certains militants du mouvement altermondialiste. Tariq Ramadan
se positionne donc, aux yeux de beaucoup, comme le Médiateur par excellence
pour la « communauté musulmane ». Ne convient-il pas de rappeler qu’en
France une communauté musulmane portant un projet socio-politique
commun n’existe pas ? Les idéologues comme Tariq Ramadan tentent en fait de la
créer dans l’opinion publique pour développer ensuite les stratégies de sa mise
en oeuvre. Nous sommes donc bel et bien face à une configuration de l’Islam
politique qui se drape en défenseur de la dignité des personnes
discriminées pour avancer ses revendications. Par ce détour, toute position
critique à l’égard de ce type de projet se voit accusée
d’islamophobie. À ce titre, les féministes qui revendiquent des droits
universels pour les femmes seront repérées également comme islamophobes. Pire,
nous assistons à un amalgame savamment dosé entre les positionnements
racistes et discriminatoires et la défense des droits fondamentaux de la
personne humaine, sacrifiés sur l’autel des valeurs sacrées. On aboutit
par cette confusion à un jeu de culpabilisation/victimisation faisant
obstacle au débat démocratique.
3- Ces réflexions nous amènent à interroger les altermondialistes sur l’enjeu que représente la participation de Tariq Ramadan au FSE. De manière consciente ou non, cette initiative ne contribue-t- elle pas à légitimer l’islam politique ? N’ignore -t-elle pas les valeurs de liberté et d’égalité des citoyens et des citoyennes, au profit de la mobilisation de forces se revendiquant comme les défenseurs des discriminés ? N’ouvre-t-elle pas la voie à une hiérarchisation des discriminations passant certaines sous silence, comme par exemple, celles relevant du sexisme ?
MFPF, CADAC