penelopes@penelopes.org III 30 mars 2001

 

L’Europe à mi-chemin du combat contre la traite des femmes

Par Malin Björk



Même si la Commission européenne vient de proposer deux lois pour lutter contre la traite, force est de constater que ses termes restent neutres alors que les consommateurs, des hommes de l’Ouest, cherchent des “ produits ” de l’Est, amalgamant d’un coup sexisme et racisme en considérant la prostituée comme un “ autre ” auquel il est impossible de s’identifier.



La Commission européenne a soumis deux propositions de décision-cadre pour combattre la traite en Europe, une qui adresse la traite et l’exploitation sexuelle des enfants et la pédopornographie, et l’autre qui est relative à la lutte contre la traite des êtres humains. Un problème majeur du texte qui concerne la traite des ‘êtres humains’, est qu’il reste neutre au niveau du sexe des victimes et neutre au niveau du sexe des trafiquants… Ceci démontre un échec dans l’analyse du caractère principal de la traite. Il s’agit d’une traite des femmes par des hommes pour l’exploitation sexuelle par des hommes.

Malgré cela, rien que le fait de faire une proposition pour combattre la traite des êtres humains constitue un avancement au niveau européen pour lutter contre un crime européen. Enfin ! Dans la proposition de la Commission européenne, les actions principales s’appuient sur une législation plus forte et plus efficace, sur la coopération judiciaire et policière pour trouver et punir les trafiquants et tous les acteurs impliqués, sur l’importance de prendre en compte la situation socio-économique dans les pays d’origines, de mettre en place des services de soutien pour les victimes de la traite, etc.

Toutefois, la proposition ne va pas assez loin et n’arrive à traiter qu’une face de la pièce. Selon la proposition de la Commission européenne, tous les problèmes et les causes de la traite des femmes sont à trouver ailleurs, dans les pays d’origine. On ne dit pas un mot du pays destinataires, le ‘marché’ où cette ‘marchandise’ européenne est destinée. Tous les philosophes européens semblent du coup avoir oublié leurs théories hégémoniques du marché, qu’ils appliquent aussi follement dans tous les autres domaines. Pourquoi n’y a-t-il personne qui parle des interventions pour combattre l’industrie de sexe en Europe de l’Ouest (les pays destinataires), par exemple à Strasbourg, où ce ‘marché’ est encore plus profitable pour les exploiteurs des femmes quand il y a une session du Parlement européen ?
Chaque année environ 120000 à 300.000 femmes sont “ exportées ” des pays de l’Europe de l’Est et Centrale vers l’Europe de l’Ouest, et une très, très grande partie d’entre elles vont être exploitées par les hommes de ‘chez nous’ dans l’industrie de sexe ici dans l’Union Européenne.

Chercher l’“autre”

Cette réalité montre à la fois le visage de l’exploitation sexuelle en Europe aujourd’hui, ainsi qu’une des dimensions principales dans l’exploitation sexuelle et l’industrie de sexe : la notion de la prostituée comme “ l’Autre ” (pas mes sœurs, ma famille, etc.). L’identification des femmes dans l’industrie de sexe comme “ les Autres femmes” reste de plus en plus basée sur la division entre les femmes de ‘chez nous’ et les femmes ‘d’ailleurs’. Les hommes de l’Europe de l’Ouest achètent de plus en plus les femmes de l’Europe de l’Est et Centrale, et la traite des femmes sert donc à fournir ces femmes “ d’ailleurs ”. La logique derrière l’industrie du sexe en Europe de l’Ouest n’est donc pas seulement sexiste, elle est aussi raciste…
Tant qu’on ne combat pas l’industrie du sexe (prostitution, etc.), tant que les hommes de l’Ouest peuvent continuer à exploiter “ l’autre femme ”, nous n’allons pas seulement échouer à combattre la traite des femmes, mais cela rend aussi impossible une Europe élargie fondée sur la solidarité. Espérons que le Parlement européen et le Conseil de ministres arrivent à introduire les liens évidents entre l’industrie du sexe en Europe de l’Ouest et la traite des femmes en Europe avant que la décision finale soit adoptée vers fin mai 2001.