Introduction
Le Lobby européen des femmes (LEF) a pris
connaissance avec intérêt de l’avant-projet de Traité constitutionnel (Conv
369/02) présenté par le Présidium à la Convention lors de la session plénière
du 28 octobre 2002.
Nous accueillons favorablement l’effort de
simplifier le texte et de rendre les structures et les procédures plus
transparentes et accessibles aux personnes vivant dans l’Union européenne. Nous
soutenons également le principe de ‘démocratie participative’ prévu à l’article
34 et considérons qu’il s’agit d’un point de départ positif en vue de la
reconnaissance du dialogue civil en Europe.
Le LEF note cependant avec inquiétude
que le premier
avant-projet de Traité constitutionnel n’inclut pas une seule référence à
l’égalité des femmes et des hommes en Europe. Bien que ce projet vise à fournir un modèle
éventuel pour le futur traité, il constitue néanmoins clairement un recul
alarmant dans le domaine de l’égalité femmes-hommes en comparaison avec le
Traité actuel établissant la Communauté européenne. Le LEF souhaite attirer
l’attention des membres de la Convention sur le fait que les femmes en Europe n’attendent
pas seulement le maintien de l’acquis communautaire dans le domaine de
l’égalité des sexes, mais aussi un développement et un renforcement de la
politique de l’Union dans ce domaine.
Avec ce nouveau texte, le Présidium
démontre son incapacité à saisir l’importance de l’élaboration de politiques et
mécanismes pour les droits égaux des femmes et des hommes en Europe. Ce texte
est également la preuve que la prétendue ‘phase d’écoute’ de la Convention,
avec son audition publique de la société civile et le site web du Forum, n’est
pas parvenue à traduire les centaines de messages envoyés en une proposition
acceptable.
Le LEF déplore que l’avant-projet de Traité
constitutionnel n’inclue pas un langage sensible au genre. Il recommande que
dans le future, le projet de traité soit revu complètement et utilise un langage qui inclut les deux sexes.
Le LEF souhaite réitérer ses
recommandations présentées dans sa première contribution à la Convention[1], et faire les commentaires suivants afin d’assurer l’intégration d’une
réelle perspective de genre dans le futur Traité.
Valeurs de l’Union
(article 2, Titre 1, 1ère Partie)
L’article 2 de l’avant-projet de traité
constitutionnel établit les valeurs de l’Union, sans aucune référence à
l’égalité des sexes. L’Union européenne a été créée avec pour but la
préservation de la paix et la démocratie, basées sur la réalisation des droits
humains et des libertés fondamentales, la solidarité et le bien être de tous.
Les droits humains des femmes et l’égalité des femmes et des hommes sont au
cœur de ces valeurs.
>>> L’Egalité des femmes et des hommes en
tant que valeur de l’Union européenne et condition préalable fondamentale à la
démocratie européenne doit être clairement reflété à l’article 2 de
l’avant-projet de Traité constitutionnel : L’Union devrait s’engager
pour garantir la pleine réalisation des droits fondamentaux des femmes et des
petites filles en tant que partie inaliénable, intégrante et indivisible de
tous les droits humains et libertés fondamentales, y compris le droit de toutes
les femmes à contrôler les divers aspects de leur santé, en particulier leur
fécondité.
Objectifs de l’Union
(article 3, Titre 1, 1ère Partie)
Egalité des hommes et des femmes: un objectif de l’Union
Les objectifs de l’Union sont énumérés à l’article 3 de
l’avant-projet de Traité constitutionnel. Parmi ces ‘objectifs’,
beaucoup sont identiques ou similaires aux ‘missions’ établies à
l’article 2 de l’actuel TCE. D’autres missions ne sont pas reprises dans le
nouveau projet de Traité. C’est le cas de la ‘promotion de l’égalité entre
les femmes et les hommes’, une mission et un objectif qui a été totalement
ignoré dans l’avant-projet de traité constitutionnel. Le LEF est alarmé par
cette grave omission. Une révision des traités européens ne doit pas signifier
une perte de droits pour celles et ceux vivant en Europe : l’acquis
communautaire ne doit pas seulement être préservé, mais au contraire renforcé
pour une Europe de l’égalité et de la solidarité !
>>> Le LEF demande aux membres de la Convention
d’inclure à l’article 3 de l’avant-projet de Traité constitutionnel “la
réalisation de l’égalité des femmes et des hommes” en tant qu’objectif de
l’Union.
Intégration
de la dimension de genre: un mécanisme institutionnel visant à réaliser
l’égalité.
Le traité actuel instituant la Communauté européenne
dispose que non seulement l’égalité des femmes et des hommes est une des
missions de la Communauté, mais aussi que dans toutes ses actions, “la
Communauté cherche à éliminer les inégalités, et à promouvoir l’égalité, entre
les femmes et les hommes”[2] (gender mainstreaming).
Dans le texte présenté par le Présidium, l’intégration de
la dimension de genre n’apparaît pas. Bien que conscient qu’il s’agit d’un
avant-projet de traité constitutionnel comprenant seulement les principales
lignes du futur traité, le LEF déplore cette lacune. Une fois encore, le projet
de traité ne répond pas aux attentes des femmes. Comme le montrent les
engagements maintes fois réitérés depuis la Conférence de Pékin en 1995, l’intégration
de la dimension de genre constitue un instrument essentiel pour la réalisation
de l’égalité des femmes et des hommes en Europe et devrait constituer une des
pierres angulaires de toutes les activités de l’Union européenne.
>>> Le LEF demande aux membres de la Convention d’introduire
une disposition séparée dans l’avant-projet de traité constitutionnel
reconnaissant l’intégration de la
dimension de genre comme un mécanisme institutionnel visant à réaliser
l’égalité et disposant que dans tous les domaines pour lesquels l’Union
est compétente, l’égalité femmes-hommes doit être réalisée.
Citoyenneté de
l’Union et les droits fondamentaux (art. 5 & 6, Titre 1, 1ère
partie)
Extension de la citoyenneté de l’Union à ceux qui
résident dans l’UE
Le LEF regrette que l’article 5 ne prévoie pas
d’extension des droits liés à la citoyenneté à toutes les personnes résidant
légalement dans l’Union européenne. Le LEF défend l’idée d’une Europe
multiculturelle, respectueuse de sa diversité, où régnerait une égalité des
droits et des chances pour tous et demande aux membres de la Convention
d’inclure une telle extension dans cette disposition.
Le LEF accueille favorablement la
proposition faite à l’article 6 de l’avant-projet de Traité
constitutionnel d’intégrer la Charte
dans le nouveau traité. Cependant le LEF recommande qu’un mécanisme de
révision à un stade ultérieur soit également prévu dans cet article.
La Charte devrait être renforcée, notamment par
l’introduction de dispositions spécifiques relatives à la réalisation des
droits humains des femmes, comme l’interdiction de la violence et des
persécutions sexistes, le respect des droits et de la santé des femmes et des
hommes en matière de sexualité et de procréation, le droit de concilier famille
et travail pour les femmes et les hommes.
>>> Le LEF recommande qu’un mécanisme de
révision de la Charte des droits fondamentaux soit prévu à l’article 6,
afin de renforcer la Charte notamment par l’introduction de
dispositions relatives à la réalisation des droits humains des femmes.
La vie démocratique
de l’Union (Titre VI)
Pas de légitimité démocratique
sans démocratie paritaire !
Le LEF déplore que le Titre VI de l’avant-projet de traité constitutionnel ne fasse aucune référence au besoin urgent d’assurer une
représentation égale des femmes et des hommes dans la prise de décision
politique à l‘échelle européenne, comme préalable à la démocratie.
L’article 33 du projet dispose que ‘les citoyens de l’Union sont égaux
vis-à-vis des institutions de celles-ci’. La portée de cette disposition
est insignifiante si l’Union ne se donne pas les moyens de réaliser cette
égalité, en particulier par le biais de mesures assurant une participation
égale des femmes et des hommes au sein des organes de prises de décision.
>>> Le LEF demande aux membres de la Convention
de soutenir l’introduction d’une
nouvelle disposition dans le Titre VI de l’avant-projet de traité
constitutionnel, disposition suivant laquelle la participation égale des femmes
et des hommes dans la prise de décision est obligatoire dans la composition des
assemblées, organes et institutions de l’Union.
Démocratie participative (article 34)
Le LEF accueille favorablement l’introduction d’un
article sur la démocratie participative dans le projet de constitution. L’UE
doit encourager les personnes vivant en Europe à être plus impliquées dans ses
politiques. Renforcer le dialogue entre les institutions et la société civile
permettrait aux personnes vivant en Europe de participer pleinement au projet
européen. L’article 34 constitue un signe important d’ouverture de la part des
institutions de l’UE, donnant ainsi aux citoyen-ne-s l’opportunité de jouer un
rôle dans les affaires de l’UE.
>>> Le LEF demande aux membres de la Convention de maintenir et
renforcer l’article 34 afin de donner une réelle opportunité à la société
civile de contribuer à la conception de la politique de l’UE, de manière à promouvoir la voix des organisations
travaillant pour l’égalité femmes-hommes, la justice sociale, contre la
pauvreté et les discriminations, et pour une société solidaire.
Les finances de
l’Union (Titre VII)
Les budgets
et les décisions budgétaires ne sont pas neutres sous l’angle du genre, et ont
un impact différent sur la vie des femmes et des hommes. C’est seulement en incluant une perspective de genre dans la politique
budgétaire que les dépenses et recettes pourront être aménagées afin de
contribuer à l’égalité des femmes et des hommes. Ceci exige un engagement
politique visant à introduire la budgétisation sensible au genre à tous les
niveaux de l’activité de l’UE.
>>> Le LEF recommande une nouvelle disposition au Titre VII introduisant des
mécanismes de budgétisation sensible au genre à tous les niveaux des activités
de l’Union.
Les politiques et la
mise en oeuvre des actions de l’Union (2ème Partie)
Introduction d’un nouveau chapitre sur l’égalité
femmes-hommes
Le LEF regrette que la Convention n’ait pas suivi ses
recommandations d’introduire un nouveau chapitre “Egalité des femmes et des
hommes” dans la 2ème partie, sous le titre A3 “Politiques dans d’autres
domaines spécifiques” du futur traité. Un chapitre cohérent et détaillé sur
l’égalité des femmes et des hommes constituerait une base solide pour le
développement d’un cadre légal européen intégré, et donnerait les moyens d’agir
efficacement. Le LEF propose que le nouveau chapitre englobe :
·
Une
disposition générale fixant le cadre juridique d’une politique européenne
d’égalité des femmes et des hommes par laquelle l’Union
s’engage à garantir la pleine réalisation des droits fondamentaux des femmes et
des petites filles. Les mesures seront prises sur base de la procédure de
codécision (vote à la majorité qualifiée au Conseil des Ministres).
·
Une nouvelle mesure avec un effet direct interdisant la discrimination
fondée sur le sexe, sur le même modèle que l’actuel article 12 TCE, qui
interdit la discrimination fondée sur la nationalité. De même que pour
l’article 12, cette nouvelle disposition stipulera que ses mesures de mise en
œuvre sont prises sur base de la procédure de codécision.
·
Une
disposition posant les bases pour l’élaboration d’une politique exhaustive
visant à combattre toutes les formes de violence envers les femmes, y compris la traite et la prostitution. Les droits humains des femmes
et l’égalité sont intrinsèquement liés. Toutes les formes de violence
constituent des violations fondamentales des droits humains et des obstacles
persistants à la jouissance par les femmes de leur droit à l’égalité.
L’introduction d’une base légale est dès lors nécessaire de manière urgente.
·
L’introduction des actions positives dans tous les domaines comme
moyens de réaliser l’égalité : Des actions positives sont requises, jusqu’à un changement réel des
mentalités et l’élimination des préjugés, pour qu’une égalité réelle soit
atteinte dans tous les domaines de compétences de l’Union.
·
Une
disposition intégrant politiques sociales et égalité femmes-hommes : Les liens entre les politiques sociales et
l’égalité femmes-hommes devrait être reconnus comme un fondement de l’action
politique de l’UE. L’Union doit contribuer au renforcement de l’égalité et de
la cohésion sociale à travers le développement de régimes de protection
sociale, ceux-ci ayant un impact considérable sur l’égalité des sexes.
Renforcer les dispositions en matière de santé
publique (A5, II)
Les droits et la santé en matière de sexualité et de
procréation font partie intégrante des droits humains des femmes et sont
néanmoins, aujourd’hui encore, bafoués dans l’Union européenne comme ailleurs.
Le LEF propose que les dispositions en matière de santé publique[3]
soient renforcées, de manière à garantir le plein respect des droits et de
la santé des femmes en matière de sexualité et de procréation, ainsi qu’à
doter l’Union européenne des compétences nécessaires au développement
d’activités de promotion de leurs droits et leur santé en matière de sexualité
et de procréation (y compris le droit des femmes à contrôler tous les aspects
de leur santé, notamment leur fécondité). Des mesures devraient être prises sur
la base de la procédure de codécision.
L’action
extérieure (B)
Aucune politique n’est neutre sous l’angle du genre, et
dans la perspective de l’accélération de la mondialisation économique, le LEF
considère qu’il est essentiel que la dimension égalité femmes-hommes joue un
rôle moteur dans la définition des politiques extérieures de l’UE. Ceci
exige qu’une analyse sexo-spécifique et les objectifs d’égalité des sexes
soient intégrés pleinement dans la définition, la mise en œuvre et l’évaluation
des politiques extérieures de l’UE, y compris la politique commerciale
(point I), la politique de coopération au développement (point II), la
politique étrangère et de sécurité commune (point IV), la conclusion d’accords
internationaux (point V). Les droits fondamentaux et le développement durable
devraient également être pleinement pris en compte.
Le LEF rappelle la résolution 1325 du Conseil de sécurité
des NU (31 octobre 2000) selon laquelle est réaffirmé « le rôle
important des femmes dans la prévention et le règlement des conflits et la
consolidation de la paix, et qu’il importe qu’elles participent sur un pied
d’égalité à tous les efforts visant à maintenir et à promouvoir la paix et la
sécurité et qu’elles y soient pleinement associées, et qu’il convient de les
faire participer davantage aux décisions prises en vue de la prévention et du
règlement des différends ».
Y:\Final
document\position papers\Igc\Convention\EWL Comments Draft Treaty 1_FR.doc
[1] Contribution mise à jour en septembre 2002 et disponible
sur le site du LEF: www.womenlobby.org et sur le site du Forum de la
Convention sur l’avenir de l’Europe.
[2] Article 3.2 TCE
[3] Article
152 TCE