L’image des femmes dans la publicité : un
rapport timoré
par
Dominique Foufelle
A la demande de la secrétaire d’Etat aux droits des femmes
et à la formation professionnelle, un groupe d’experts s’est penché sur «
L’image des femmes dans la publicité ». Partant du principe d’une volonté des
professionnels à s’autodiscipliner, les propositions qui le concluent sont
certes intéressantes, mais laissent peu espérer que l’Etat affirmera une
volonté politique de faire cesser l’instrumentalisation du corps des femmes et
la diffusion massive de clichés sexistes.
Parmi les experts
convoqués, beaucoup de professionnel-les de la pub et de membres de
l’administration française, finalement fort peu de représentants de la société
civile, et une universitaire (Valérie Brunetière). La même disproportion se
retrouve parmi les personnes auditionnées (puisque l’étude a été réalisée à
partir d’auditions, menées d’après une grille d’entretien comprenant neuf
questions). Au total, les féministes sont représentées par trois associations :
l’AFJ (Isabelle Germain fait partie du groupe des experts), la Fédération
Nationale Solidarité Femmes et La Meute (Viviane Monnier et Florence
Montreynaud ont été auditionnées), même si quelques autres ont « rencontrées ».
A la traîne de qui ?
L’
étude a été « menée au regard de l’impératif social de prévention de la
violence et de la lutte contre les discriminations à l’égard des femmes ».
Moyennant quoi, elle ne pointe du doigt que les images et slogans d’un machisme
extrême, dont il serait impossible de prétendre qu’elles ne portent pas
atteinte à la dignité de la personne humaine : corps meurtris, allusions aux
violences conjugales, aux viols ou à la prostitution… Ni l’utilisation du corps
des femmes comme « attrape-couillons » (puisqu’il ne peut s’agir d’un argument
de vente, encore moins d’une information aux clients) ni la vision stéréotypée
des relations femmes/hommes que la pub adopte quasi systématiquement (y compris
sous prétexte d’humour) ne sont au programme.
En sexualisant de façon de
plus en plus brutale leurs campagnes, les professionnel-les prétendent se
contenter de suivre « l’air du temps » (bizarre ! on les croyait « créatifs »
?) ; ils estiment de façon générale ne reprendre que des tendances qui existent
déjà, alors que les associations consultées affirment qu’ils imposent et
amplifient des stéréotypes. Cette docilité prétendue aux diktats des
consommateurs étonne. A plusieurs reprises, le rapport insiste sur le droit des
publicitaires à la liberté d’expression. Certes. Mais qui risque ici de le
menacer le plus : un public de toute façon captif, ou les annonceurs qui
tiennent les cordons de la bourse ? Qui donne le feu vert d’une campagne ?
Encore une fois, comme lorsqu’il s’agit pour des producteurs de justifier la
bêtise d’un programme de télévision, le public a bon dos !
Tout le monde il est beau…
Comme
tout rapport qui se respecte, celui-ci se conclut sur des propositions. Les
professionnels ne prisent guère les outils législatif et juridique, qu’ils
considèrent comme « une norme rigide inadéquate à prendre en compte les
évolutions sociales qui peuvent au contraire être aisément reprises par un
système d’autodiscipline (…) ». Il est vrai que le système d’autodiscipline
déjà en place brille par sa souplesse et sa modernité : la recommandation «
Image de la femme » du BVP date de 1975 ! Les règles déontologiques pourraient
toutefois être réactualisées – sous réserve de l’approbation des instances
dirigeantes du BVP.
Les professionnels se
disent demandeurs d’un « débat avec le corps social ». Dans cette optique, on
se réjouit de la proposition d’intégrer parmi les représentants des
consommateurs dans la « Commission de concertation – association de
consommateurs/professionnels de la publicité », des associations combattant les
discriminations fondées sur le sexe ; et on espère ne pas se réjouir trop vite,
car pour que cela se fasse, il faut que la Commission, dont le secrétariat se
trouve être assuré par le BVP, en prenne la décision à l’unanimité. Les
associations pourraient participer au Conseil national de la consommation ;
elles pourraient aussi composer un collectif dont les observations seraient
recueillies par… le BVP.
Rien que de très banal à
trouver beaucoup de « si » dans un rapport, et un usage intensif du
conditionnel. Ce qui inquiète ici, c’est de voir que le sort de ces
propositions repose en grande partie sur le bon vouloir du BVP (Bureau de
Vérification de la Publicité), regroupant des annonceurs, agences et supports
qui ont souhaité y adhérer, et qui a pour mission de concevoir la déontologie
de la profession. Il a été créé en 1935 ! Et il se mettrait subitement en 2001
à faire la chasse au sexisme ?
Et l’Etat, dans tout ça ?
En
somme, si « l’air du temps » leur permet d’imaginer des campagnes moins
sexistes tout en continuant à vendre autant, les professionnels ne demanderont
pas mieux ? L’Etat, qui les a réunis pour cette étude et semble leur accorder
toute sa confiance, se doit donc de leur donner un petit coup de pouce en influant
sur cet « air du temps ». C’est prévu : des modules sur l’égalité des femmes et
des hommes et les discriminations devraient être intégrés dans les formations
initiale et continue des professionnels de la communication (en collaboration
avec le BVP !) ; un partenariat interministériel devrait permettre d’instaurer
des « sensibilisations à l’analyse des messages publicitaires par les jeunes »
; des « initiatives complémentaires » devrait favoriser l’émergence d’un débat
public.
Quel meilleur moyen en
effet de savoir de quoi est fait cet « air du temps » que de permettre au
public de s’exprimer ? Les associations de consommateurs sont invitées à
intégrer dans leur champ d’intervention la défense de la dignité de la
personne. Une campagne dans la presse « avec un visuel spécialement créé pour
le respect de l’image des femmes » informerait les citoyens sur les moyens de
réagir. Un site web paraît tout désigné pour recevoir leurs réactions :
celui…du BVP.
Tout de même, pour le cas
où les professionnels autodisciplinés ne parviendraient pas à circonvenir leurs
hooligans, il a aussi été préconisé « un rééquilibrage entre liberté
d’expression et discrimination sexuelle par l’édiction d’une nouvelle
infraction. » Il s’agit d’élargir le délit de provocation à la haine raciale à
la discrimination sexuelle, dans les textes s’appliquant à la communication,
par l’écrit ou par l’image. Et là, la Convention CEDAW (sur l ‘élimination de
toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes adoptée dans le cadre
de l’ONU) devrait permettre de faire pression sur l’Etat français, si par
hasard il se faisait tirer l’oreille. Il est également conseillé d’élargir la
capacité pour les associations d’agir en justice, et de leur donner un pouvoir
de saisine du CSA en cas d’atteinte aux règles éthiques des éditeurs de
services.
Si toutes ces mesures sont
appliquées, la situation devrait effectivement s’améliorer. Ne nous faisons pas
de bile : un comité interinstitutionnel et interministériel va en évaluer la
mise en œuvre, et remettra un rapport tous les deux ans au ministre ad hoc.