1. La
traite des femmes constitue une violation des droits de l’homme et
des principes fondamentaux de la primauté du droit et de la
démocratie. Le nombre des victimes de la traite en Europe a
augmenté considérablement ces dernières années; les pays européens
doivent donc agir de toute urgence pour endiguer cette forme
moderne de l’esclavage.
2. La
traite est un problème qui relève des droits de l’homme,
entraînant la violation de la dignité et de l’intégrité des
femmes, de leur liberté de mouvement et, dans certains cas, de
leur droit à la vie. En portant atteinte à la personne, elle
ébranle la base même des droits de l’homme: le droit à la dignité
de tous les êtres humains. La traite devrait être considérée comme
un crime contre l’humanité.
3. Dans les sociétés européennes, la traite
est une question extrêmement complexe, étroitement liée à la
prostitution ainsi qu’aux formes cachées de l’exploitation que
sont l’esclavage domestique, les mariages par correspondance et le
tourisme sexuel. 78 % des femmes victimes de la traite sont,
d’une manière ou d’une autre, exploitées à des fins
sexuelles.
4. La traite des femmes est une branche du
commerce mondial en pleine expansion, source de profits
considérables pour les trafiquants et le crime organisé. Etant
donné l’accroissement de la demande dans les Etats membres du
Conseil de l’Europe, le chiffre d’affaires de cette activité
criminelle occupe désormais le troisième rang, derrière le trafic
de la drogue et celui des armes.
5. Le
phénomène est étroitement lié aux migrations. Selon l’Organisation
internationale des migrations, les réseaux de trafiquants ont fait
venir l’année dernière en Europe occidentale, pour les exploiter,
plus de 500 000 femmes d’Europe centrale et orientale,
rendues vulnérables par leur situation financière. Les trafiquants
comblent le vide qui existe entre la forte demande en main-d’œuvre
étrangère, d’une part, et la diminution des voies de migration
légales dans la plupart des pays, d’autre part.
6. Cette forme de crime organisé a des
répercutions sérieuses sur la santé morale et physique des
victimes. Elles souffrent des pires formes de violence sexuelle,
physique et psychique, et courent des risques d’incapacité
physique et d’exclusion sociale.
7. La principale cause de cette forme de
criminalité organisée est la pauvreté, résultat direct de la
transition vers l’économie de marché dans les pays d’origine des
victimes. Le crime organisé profite des femmes qui désirent gagner
de l’argent à l’étranger pour les exploiter brutalement, par le
biais de la prostitution ou du travail domestique, surtout dans
les pays occidentaux. On ne parviendra à freiner l’expansion de la
traite des femmes en Europe qu’aux conditions suivantes:
amélioration de la situation économique des pays d’origine,
adoption et application de législations nationales reconnaissant
la traite des femmes comme une infraction pénale pouvant relever
d’une juridiction extraterritoriale.
8. L’Assemblée est très préoccupée par
l’expansion spectaculaire de la traite des femmes dans les zones
qui connaissent ou viennent de connaître un conflit. Par exemple,
dans les Balkans, le problème se trouve aggravé par l’instabilité
des sociétés civiles et par l’affaiblissement de la primauté du
droit. La forte présence militaire dans cette région a suscité la
demande et a attiré les trafiquants qui cherchent à profiter de la
situation, ce qui a rendu nécessaire l’élaboration d’un code de
conduite attirant l’attention des forces militaires sur la
question de l’égalité des sexes.
9. Face à l’ampleur du phénomène de la
traite des femmes et à ses graves conséquences, l’Assemblée
soutient les efforts des organisations internationales, et de
l’Union européenne en particulier, pour combattre ce crime, et
appelle tous les pays européens à développer des mesures et des
actions communes recouvrant tous les aspects du problème:
statistiques complètes, recherches sur les causes et les
mécanismes du trafic, application de la loi, prévention,
protection des victimes, répression, campagnes de sensibilisation
et d’information.
10. L’Assemblée prie donc instamment les
gouvernements des Etats membres:
i. d’ériger en crime au regard
du droit national la traite de femmes et l’utilisation en
connaissance de cause des services de femmes victimes de la
traite, et de renforcer la législation et les mécanismes
répressifs destinés à punir les trafiquants et les clients de
ces femmes;
ii. de nommer un rapporteur
national sur la traite des êtres humains dans chacun des pays
touchés par ce problème; le bureau du rapporteur devrait
élaborer et mettre en application le plan national d’action
contre la traite, en tenant compte des particularités de la
situation dans chaque pays;
iii. de rédiger à l’attention de
leur parlement des rapports annuels sur la traite des femmes
dans leur pays et sur les activités destinées à éviter cette
traite;
iv. d’encourager, aux plans
national et international, la recherche sur le problème de la
traite des femmes, afin de mieux comprendre et combattre ce
phénomène;
v. de pénaliser le tourisme
sexuel et d’incriminer les activités susceptibles d’entraîner
certaines formes de traite, y compris l’esclavage domestique et
les mariages par correspondance, qui se font par
Internet;
vi. de
mettre en place, à l’intention des organisations bénévoles qui
défendent les victimes de la traite, un cadre législatif leur
permettant d’intenter une action en justice contre les
trafiquants – que ce soit en liaison avec les victimes ou à leur
place – dans le but d’obtenir des dommages et
intérêts;
vii. de bannir la pratique
consistant à restreindre, en leur refusant un visa, la liberté
de mouvement des femmes qui se rendent dans des pays d’Europe
occidentale pour étudier, travailler ou dans d’autres buts
licites;
viii. de prendre les
dispositions suivantes concernant la prévention de la traite des
femmes:
a. établir des
accords bilatéraux entre les pays de destination et les pays
d’origine des victimes. Ces accords devront prévoir une
coopération judiciaire et policière, et couvrir les aspects
humanitaires du problème, incluant des campagnes de prévention
et d’information, des programmes de formation ainsi que des
programmes d’assistance pour la réhabilitation des
victimes;
b. encourager la
mise en place de services de police spéciaux et les
sensibiliser pour combattre la traite et la prostitution
forcée: ces services devront être en liaison directe avec
Interpol et Europol, afin d’assurer la circulation des
informations sur les réseaux de trafiquants et une
collaboration efficace en ce qui concerne la détention des
criminels;
c. encourager une
coopération et une interaction constantes entre les
organisations non gouvernementales, les consulats et les
services de police chargés de combattre la
traite;
d. mettre en place, en
coopération étroite avec les pays d’origine, des programmes de
prévention axés tout particulièrement sur les causes profondes
de la traite des femmes, à savoir l’inégalité entre les hommes
et les femmes sur le marché du travail, dans l’éducation et
l’accès à certaines professions, la féminisation de la
pauvreté, la violence envers les femmes;
e. lancer de vastes
campagnes d’information et de sensibilisation à l’intention
des professionnels qui, par leur travail, pourraient se
trouver au contact des victimes et des trafiquants. Ces
campagnes devraient s’adresser aux membres des ministères
particulièrement concernés par la question de la traite, aux
services de douane et de police, aux agents diplomatiques, aux
autorités publiques, aux médias et aux organisations non
gouvernementales à vocation humanitaire;
f. lancer des
programmes d’éducation sexuelle dans les écoles, en mettant
l’accent sur l’égalité entre les hommes et les femmes, et le
respect des droits et de la dignité de la personne humaine.
Les programmes scolaires devraient inclure une information sur
les risques d’exploitation, d’abus sexuel et de traite de
l’être humain. La formation des formateurs devrait inclure une
dimension égalitaire et éviter les stéréotypes fondés sur le
sexe;
g. encourager les
médias à couvrir le travail des organisations non
gouvernementales, des services de police et des assemblées
parlementaires qui combattent la traite;
h. effectuer une
surveillance constante des petites annonces, dans le but de
détecter toute information cachée sur les réseaux illégaux de
transport d’êtres humains et sur les emplois illégaux, et
développer des mécanismes de responsabilité efficaces face à
ce type d’annonces;
ix. d’adopter les
dispositions suivantes concernant les victimes de la
traite:
a. accorder aux
victimes une protection spéciale;
b. mettre en place des
refuges pour les victimes, sur le modèle de ceux qui existent
déjà en Italie, en Belgique et en Autriche;
c. créer, dans les
capitales et les différentes régions de chaque pays, des
services téléphoniques gratuits, destinés à fournir des
informations aux victimes potentielles de la traite et à leur
famille, et à aider les personnes victimes de la
traite;
d. établir pour les
victimes un droit à réparation, à l’insertion et à la
réinsertion, et créer un organisme d’entraide, afin de les
aider à retourner dans leur pays d’origine ou le pays
d’accueil si elles le souhaitent;
e. prendre toutes les
mesures nécessaires pour protéger les victimes et toutes les
personnes désireuses de témoigner, et assurer la protection de
leur famille dans leur pays d’origine;
f. augmenter la part du
budget de l’Etat consacrée aux services sociaux spécialisés
dans l’aide aux victimes de la traite et de la
prostitution;
g. accorder un permis
de séjour aux victimes de la traite; illimité pour celles qui
acceptent de témoigner devant un tribunal et ont besoin de
protection, et temporaire mais renouvelable pour toutes les
autres, pour motifs humanitaires;
h. mettre en place dans
les ambassades et les consulats des pays de destination, dans
les pays d’origine, des services d’information et de conseil
pouvant communiquer aux femmes qui partent à l’étranger
l’information nécessaire ainsi que les adresses des ambassades
et des organisations non gouvernementales du pays de
destination, susceptibles d’apporter une assistance aux
victimes de la traite;
x. mettre en place une véritable
répression des trafiquants:
a. en extradant ou en
poursuivant les nationaux pour des actes commis à l’étranger
et en établissant des règles de compétence judiciaire
extraterritoriale, et ce, quels que soient les pays où les
infractions ont été commises, y compris lorsque les actes
constitutifs de l’infraction ont été perpétrés dans plus d’un
pays et indépendamment d’une éventuelle plainte déposée par le
ou les pays en question;
b. en introduisant des
sanctions pénales pour l’utilisation en connaissance de cause
des services de femmes victimes de la
traite;
c. en appliquant aux
trafiquants des peines au moins égales à celles des
trafiquants de drogue et d’armes;
d. en incluant dans les
peines la saisie et la confiscation des profits considérables
obtenus par les trafiquants, et la fermeture des
établissements dans lesquels les victimes sont exploitées. Une
partie des gains confisqués devrait être attribuée aux centres
d’insertion et de réinsertion, et aux refuges pour les
victimes (les délinquants devraient payer une indemnité aux
victimes de la traite);
e. en accordant une
aide judiciaire aux victimes de la traite et en envisageant
l’introduction de règles spéciales dans les procédures civiles
engagées par des victimes contre leurs trafiquants, telles que
l’allègement de la charge de la preuve en ce qui concerne
l’utilisation de la
force.
11. L’Assemblée recommande au Comité des
Ministres:
i. de créer un observatoire
européen sur la traite, afin:
a. de prendre les
dispositions nécessaires pour lancer des campagnes
d’information et de sensibilisation contre la traite des
femmes et des enfants dans tous les pays
membres;
b. d’établir un réseau
international d’experts sur la traite des femmes et des
enfants, pour faciliter l’échange d’informations et de données
spécialisées;
c. d’étudier les
conséquences de l’utilisation des nouvelles technologies de
l’information sur la traite des femmes et des enfants, ainsi
que l’impact de ces nouvelles technologies sur les victimes de
la traite;
d. de conduire, en
coopération avec d’autres organisations internationales, des
recherches systématiques sur la traite des femmes et des
enfants;
ii. d’élaborer une convention européenne sur
la traite des femmes, ouverte aux Etats non membres, qui
s’appuie sur la définition de la traite des femmes figurant dans
la Recommandation no R (2000)11 du Comité des
Ministres sur la lutte contre la traite des êtres humains aux
fins d’exploitation sexuelle. Cette convention
devra:
a. se concentrer sur
l’offre d’aide et de protection aux victimes de la traite, en
faisant obligation aux Parties d’accorder une assistance
judiciaire, médicale et psychologique à ces victimes,
d’assurer leur sécurité physique et celle de leur famille, et
de leur accorder un permis de séjour spécial pour motifs
humanitaires, et un permis illimité de séjour lorsqu’elles
acceptent de témoigner devant un tribunal et ont besoin de
protection en tant que témoins;
b. stipuler des mesures
répressives pour combattre la traite, en s’appuyant sur
l’harmonisation des lois, notamment en droit pénal, et sur
l’ouverture de nouvelles voies pour une coopération
transfrontalière améliorée dans les domaines de la police et
de la justice;
c. contenir des mesures
visant à empêcher les policiers et les autres fonctionnaires
de participer à la traite des femmes;
d. comprendre une
clause de non-discrimination, s’inspirant de celle proposée
par l’Assemblée dans l’Avis no 216 (2000) sur le
projet de protocole no 12 à la Convention
européenne des Droits de l’Homme;
e. établir un mécanisme
de contrôle pour surveiller l’application de ses
dispositions;
et
f. être soumise, sous
forme de projet, à l’Assemblée, pour
avis;
iii. de
mettre en œuvre la Recommandation no R (2000) 11 et
de la transmettre au commissaire aux droits de
l’homme.
[1] Discussion par l’Assemblée le 21 janvier
2002 (1re séance) (voir Doc. 9190,
rapport de la commission sur l’égalité des chances pour les femmes
et les hommes, rapporteuse: Mme Err; et Doc. 9225,
avis de la commission des questions juridiques et des droits de
l’homme, rapporteuse: Mme Wohlwend).
Texte
adopté par l’Assemblée le 21 janvier 2002
(1re séance).