Résolution 1337
(2003)1
Migrations liées à la traite des femmes et à la
prostitution
1. Les migrations liées à la
traite des femmes et à la prostitution sont l’un des aspects les
plus sombres de l’inégalité entre les femmes et les hommes.
L’Assemblée parlementaire exprime sa vive inquiétude devant le
développement de cette forme de migration, qui est devenue un
gigantesque trafic criminel international hautement organisé, lié
à l’exploitation des femmes.
2. L’Assemblée rappelle et
réitère la Recommandation 1325 (1997)
relative à la traite des femmes et à la prostitution forcée dans
les Etats membres du Conseil de l’Europe, et la Recommandation 1545 (2002)
sur une campagne contre la traite des femmes. Ces recommandations
considèrent que la traite des êtres humains se situe sur le
terrain des droits de la personne humaine, dans la mesure où elle
pose la question de la violation de la dignité et de l’intégrité
des femmes, de leur liberté de circulation et, dans certains cas,
de leur droit à la vie.
3. Si la traite des êtres
humains et la migration qui lui est associée prennent de telles
proportions, cela est dû à l’écart entre pays riches et pays
pauvres, au manque d’opportunités et de perspectives d’avenir pour
les jeunes, et à la pauvreté qui touche les femmes dans de
nombreux pays et qui les rend particulièrement vulnérables à
l’exploitation exercée dans l’industrie du sexe. La situation
économique difficile dans les pays d’origine est exploitée par les
réseaux du crime organisé dans les pays d’origine comme dans les
pays de destination.
4. L’Assemblée constate que
l’insuffisance de l’offre de main-d’œuvre dans certains pays de
destination crée une demande de travailleurs migrants. Lorsque la
migration légale ne comble pas ce déficit, la tentation et la
possibilité de faire appel à la migration augmentent. Les
politiques migratoires répressives, et le statut illégal des
femmes qui en résulte dans les pays de destination, ont augmenté
la dépendance et la vulnérabilité des migrantes à l’égard de
diverses formes d’exploitation et de
maltraitance.
5. L’Assemblée rappelle sa Recommandation
1489 (2001) sur la migration de transit en Europe centrale et
orientale, et réitère l’importance d’élaborer, dans le domaine des
politiques migratoires, une stratégie européenne visant à
développer les possibilités de migration légitime. Cela devrait
permettre à un certain nombre de femmes de se soustraire à la
traite, puisqu’elles seraient moins tributaires des trafiquants
pour partir à l’étranger.
6. Il est également urgent de
mettre au point une stratégie européenne commune tendant à
promouvoir des politiques de redressement économique, susceptibles
d’accroître la stabilité socio-économique et politique dans les
pays d’origine, de réduire les migrations imputables à la pauvreté
et de diminuer les facteurs de traite qui sont liés à l’offre
ainsi que les facteurs de prostitution liés à la demande. Il faut
prendre le mal à la racine, c’est-à-dire agir sur les facteurs qui
commandent véritablement les perspectives économiques dans les
pays d’origine; il faut le faire par la coopération économique,
l’intensification des échanges, l’aide au développement et la
prévention des conflits.
7. C’est avec une vive
inquiétude que l’Assemblée constate le rôle de la criminalité
internationale organisée dans les migrations liées à la traite des
femmes et à la prostitution. Elle invite instamment les Etats
européens à élaborer une législation applicable spécifiquement aux
crimes liés à la traite et aux infractions connexes, législation
qui devra prévoir des peines sévères pour les auteurs de tels
crimes.
8. L’Assemblée considère que,
dans la lutte contre la traite des femmes, on doit se préoccuper
essentiellement de la situation et des droits des victimes (par
exemple en matière de séjour et dans les procédures pénales), y
compris à travers l’assistance et l’aide financière aux victimes,
et leur protection physique. Il importe d’éviter que les victimes
de la traite ne soient doublement victimes, qu’elles témoignent ou
non contre les trafiquants.
9. En conséquence, l’Assemblée
appelle les Etats membres du Conseil de
l’Europe:
A. Mesures
générales
i. à nommer, dans chaque pays
membre, un rapporteur national sur la traite des êtres humains,
qui soit aussi un interlocuteur et un défenseur des victimes de
la traite et de leur famille;
ii. à adopter des mesures
effectives pour améliorer la situation économique des pays
d’origine, y compris en optimisant la protection sociale et en
créant des opportunités d’emploi;
iii. à mieux cerner les
déséquilibres qui affectent le marché du travail dans les pays
de destination, et à promouvoir des politiques d’immigration
sélective et de véritable intégration;
iv. à prendre des mesures pour
réduire la demande visant les activités des personnes faisant
l’objet de la traite pour exploitation sexuelle, travail forcé
ou esclavage;
v. à développer des projets de
recherches et d’enquêtes sociologiques afin de mieux cerner le
profil des clients de la traite des femmes et de la
prostitution, et de trouver et de promouvoir des mesures de
remplacement à l’alternative actuelle entre politique de
pénalisation ou totale impunité du
client;
B. Mesures tendant à
améliorer les politiques migratoires
i. à adopter, en matière de
politiques migratoires, des décisions efficaces visant à
multiplier les opportunités de migration
légitime;
ii. à encourager la signature
d’accords bilatéraux, entre pays d’origine et pays de
destination, pour la conclusion de contrats de migration de
main-d’œuvre de courte durée;
iii. à adopter des politiques
migratoires qui viennent en aide aux victimes de la traite et de
la prostitution des migrants, en favorisant leur réhabilitation
et leur réintégration dans la société;
iv. à réglementer et à
surveiller les établissements tels que les agences
matrimoniales, les agences pour l’emploi, les agences de
tourisme, les organismes de placement au pair et d’adoption, de
manière à sanctionner ceux d’entre eux qui coopèrent avec des
groupes criminels de trafiquants;
v. à délivrer aux victimes de
la traite un permis de séjour pour des raisons humanitaires. En
cas de refus de délivrance ou de renouvellement de ce permis de
séjour, la personne concernée devrait avoir le droit
d’introduire un recours avec effet suspensif sur
l’expulsion;
C. Mesures
préventives
i. à créer des banques de
données et à encourager les échanges d’informations au sujet des
divers aspects des migrations liés à la traite des êtres
humains;
ii. à promouvoir des campagnes
de sensibilisation et une prise de conscience sur la manière
dont ce trafic fonctionne, et à instituer des mesures tendant à
prévenir les migrations illégales, y compris en soutenant et/ou
en organisant des campagnes d’information s’adressant aux
victimes potentielles de la traite, en particulier dans les
zones à risque, les établissements scolaires et d’autres lieux
d’éducation et de socialisation;
iii. à coopérer avec les
organisations non gouvernementales qui possèdent une expertise
en ce qui concerne les droits fondamentaux des femmes, les
droits des travailleurs et la lutte contre la traite des êtres
humains;
iv. à développer la
coopération internationale entre services de police spécialisés
dans la lutte contre la traite des êtres
humains;
v. à organiser des programmes
de sensibilisation à la lutte contre la traite à l’intention des
magistrats, des policiers, des travailleurs médicaux et sociaux,
ainsi que des services consulaires et
d’immigration;
vi. à élaborer, à l’intention
des juges et d’autres professionnels, des commentaires
interprétatifs et, à l’intention des fonctionnaires de police et
des services d’immigration, des lignes directrices exhaustives
sur la procédure en matière de prévention et de répression des
infractions liées à la traite;
D. Mesures
juridiques
Au niveau
international
i. à soutenir pleinement
l’idée d’une convention du Conseil de l’Europe sur la traite des
êtres humains qui apportera une valeur supplémentaire aux autres
instruments internationaux grâce à son approche précise des
droits de l’homme et de la protection des victimes, et à la mise
en place d’une notion d’égalité;
ii. à signer et à ratifier,
s’ils ne l’ont pas encore fait, la Convention des Nations Unies
contre la criminalité transnationale organisée et son Protocole
additionnel visant à prévenir, à réprimer et à punir le trafic
des personnes, en particulier des femmes et des enfants
(Protocole de Palerme);
Au niveau
national
i. à nommer des procureurs
spécialement formés aux problèmes de la traite des êtres humains
dans tous les parquets régionaux et nationaux;
ii. à instituer dans leur
droit pénal l’infraction de la traite, s’ils ne l’ont pas déjà
fait;
iii. à prévoir des peines
sévères pour ce type de trafic et de prostitution
forcée;
iv. à encourager les victimes
de la traite et les témoins à déposer en justice contre les
trafiquants, et à assurer la sécurité des personnes qui
acceptent de témoigner, tant au cours de l’instruction et du
procès que, par la suite, à chaque fois que leur sécurité est
menacée;
E. Mesures de protection des
victimes
i. à faire en sorte que les
femmes migrantes qui sont victimes des trafiquants et de la
prostitution forcée puissent regagner leur pays dans des
conditions de dignité et de sécurité, si elles le
souhaitent;
ii. à élaborer des principes
directeurs permettant d’identifier rapidement les victimes et à
leur prêter assistance;
iii. à veiller à ce que les
victimes de la traite ne soient pas placées dans un centre
d’immigration ni privées de leur liberté d’une autre
manière;
iv. à apporter à toutes les
victimes de la traite l’assistance nécessaire à leur
réhabilitation, y compris au niveau du logement, des soins de
santé, des conseils et de la formation professionnelle, dans le
pays hôte et/ou dans le pays d’origine, si elles y
retournent;
v. à aider financièrement les
organisations non gouvernementales qui mettent en œuvre des
programmes de protection et lancent des initiatives en faveur
des victimes de la traite;
vi. à prévoir que les
tribunaux compétents puissent condamner le contrevenant à
dédommager les victimes de la
traite.
. Discussion par l’Assemblée le 25
juin 2003 (21e séance) (voir Doc.
9795, rapport de la commission sur l’égalité des chances pour
les femmes et les hommes, rapporteur: Mme Zwerver; et
Doc.
9848, avis de la commission des questions
sociales, de la santé et de la famille, rapporteur: M. Piscitello;
et Doc.
9809, avis de la commission des
migrations, des réfugiés et de la démographie, rapporteur:
Mme de Zulueta).
Texte adopté par
l’Assemblée le 25 juin 2003
(21e
séance).