Mesdames les
Conventionnelles, Messieurs les Conventionnels,
Le projet révisé de la Partie I, fondé sur vos
amendements, continue à privilégier le
caractère économique de l'Union, aux
dépens de son acquis social, voire de
son visage humain. Il ne tient pas compte des propositions de la société
civile, et en particulier de celles de la Conférence Européenne d'Athènes, que
nous vous avons déjà envoyées de la part de plusieurs ONG internationales, européennes et nationales, féminines et
mixtes, dont le nombre s'accroît tous les jours. Nous vous les envoyons de
nouveau, avec la liste des ONG des pays méridionaux qui y souscrivent.
Nous nous réjouissons de la lettre du 22 mai de la
présidente de la Commission FEMM du PE, Anna
Karamanou, au Président Giscard d'Estaing, et nous soulignons comme elle
que les femmes n'accepteront jamais un retour en arrière en matière d'égalité
entre femmes et hommes.
Voulez-vous bien répondre franchement aux questions
suivantes:
► Serait-ce
que seules les questions institutionnelles retiennent votre intérêt? Si la
Convention ne s'intéresse pas plus aux êtres humains que ne l’a fait la CIG,
alors, à quoi sert-elle? Et pourquoi l'institutionnaliser?
► Article
I-2. Valeurs: La fonction juridique des valeurs diffère de celle des
objectifs. Pourquoi votre refus d'inclure dans les valeurs de l'Union la "paix"
et "l'égalité entre femmes et hommes"? La “paix” est bien féfinie par les NU.
Désirez-vous que des pays non pacifiques et non respectueux de la valeur
humaine des femmes joignent l'Union? Que les États-membres eux-mêmes ne
s’engagent pas expressément à respecter la paix dans le monde et l'égalité
entre femmes et hommes? Que l'identité européenne soit ainsi altérée?
Où sont les plus de 60 membres du groupe de travail "Europe Sociale" qui
ont proposé d'inclure "l'égalité,
notamment l'égalité entre hommes et femmes"?
L'argument selon lequel la seule mention de l'"égalité" et de la "non discrimination"
dans l'article 2 est suffisante est faux.
En effet:
·
L'histoire prouve
que la seule mention des deux notions ci-dessus ne suffit pas pour garantir
l'égalité entre femmes et hommes. C'est pourquoi dans les traités
internationaux d'application générale, ratifiés par tous les États membres,
tels les deux Pactes des N.U. (sur les droits civils et politiques, et sur les
droits économiques, sociaux et culturels) l'égalité des droits des femmes et
des hommes est expressément exigée (article 3 des deux Pactes). Pour la même
raison, l'Union, par chacun de ses nouveaux traités, a renforcé la garantie
de l'égalité réelle entre femmes et hommes. De plus, un nombre croissant de
Constitutions des États membres (actuellement la majorité de celles-ci)
garantissent expressément l'égalité substantielle entre femmes et hommes. L'égalité entre femmes et hommes est, et
doit rester, une valeur identitaire de l'Europe - et non seulement un article d'exportation.
·
Ceux et celles qui
soutiennent que l'"égalité entre
femmes et hommes" n'est pas un concept de "contenu juridique clair", se trompent. C'est un des concepts les plus clairs et mieux définis, par plus de
200 arrêts de la Cour de Justice, et par la CEDAW, largement aussi clair que
les autres "valeurs" inscrites à l'article 2. Dès lors, aucun État
membre ou candidat ne saurait prétendre qu'il ne peut "discerner les
obligations sanctionnables qui en découlent" (v. Note explicative de l'article
2).
·
Puisque la fonction
juridique des "valeurs" et
des "objectifs" est
différente, il n'est pas suffisant, tout en étant absolument nécessaire, que
l'égalité entre femmes et hommes soit un objectif, même transversal, comme elle
l'est actuellement selon l'article 3(2) du Traité CE. Elle doit aussi figurer parmi les valeurs.
Voulez-vous donc que l'Union abandonne ses valeurs
identitaires? Qui a peur de la "paix" et de "l'égalité entre femmes et hommes"?
► Article I-3. Objectifs: Pourquoi
l'égalité entre femmes et hommes n'est-elle
plus un objectif transversal (v.
article 3(2) du Traité CE en vigueur), mais seulement un objectif parmi d'autres? Avez-vous oublié que les femmes ne
sont ni un groupe ni une minorité, mais l'une des deux formes de l'être humain,
et plus que la moitié de la population européenne? La place adéquate pour
cette disposition est sa place actuelle comme paragraphe distinct de l'article
3. La soustraire à la Partie I, qui
contient les dispositions fondamentales, et la reléguer dans la Partie III
conduit à compromettre l'acquis et ne constitue qu'un pauvre alibi.
Pourquoi abandonner des objectifs sociaux actuels d'importance cruciale, telle "la
qualité de vie et d'emploi"? Pourquoi “la lutte contre la traite des personnes et la violence” n’est-elle
pas un objectif de l’Union?
Pourquoi "l'espace
de liberté, de sécurité et de justice" est-il seulement pour les citoyens? Et les citoyennes? Et les autres êtres
humains (même non citoyens ou citoyennes) qui se trouvent sur le territoire de
l'Union?
► Articles
d'effet direct, après l'article I-4 du texte révisé: Pourquoi le projet
ne contient-il pas, comme il est nécessaire et les nombreuses ONG qui
entérinent nos propositions l'ont demandé:
·
Un article
garantissant l'égalité des droits des femmes et des hommes, dans tous les
domaines, et prévoyant la prise de mesures positives pour promouvoir
l'égalité réelle des genres. Qui ne veut pas de l'égalité réelle?
·
Un article
garantissant la protection de la maternité et de la paternité et l'articulation de
la vie familiale et professionnelle. Qui nie cette nécessité pour
l'avenir, voire la survie même de l'Union, et pour la qualité de vie de sa
population? A quoi sert donc la
protection des droits des enfants, quand ceux de leurs parents sont ignorés?
·
Un article interdisant
toute discrimination et exigeant l'égalité des chances sans discrimination.
Qui refuse à tout être humains la valeur humaine? Cet article absolument
nécessaire ne suffit pas, en tout cas, pour garantir l'égalité des genres (v.
supra), d'où la nécessité de l’article spécifique précité qui requiert
l'égalité des droits des femmes et des hommes.
Qui a peur de telles
dispositions? Sans celles-ci, même les objectifs économiques que vous
privilégiez, et en particulier l'augmentation du taux d'emploi des femmes, ne
peuvent être atteints.
► Article
I-7. Charte: Nous venons d’apprendre que les "adaptations rédactionnelles",
proposées par le Groupe de travail II, sont intégrées dans la Charte. Où sont
celles et ceux qui avaient réagi vivement, pendant la session plénière du 28
octobre 2002, contre ces "adaptations",
qui, loin d'être "rédactionnelles",
en réalité amputent la Charte, et créent une confusion qui risque de
restreindre d'autres droits fondamentaux faisant aussi partie de notre acquis? Où
sont les membres de la Convention précédente? Si l'amputation insidieuse de la Charte par le biais des prétendues
"adaptations rédactionnelles" est le prix à
payer pour que la Charte obtienne valeur constitutionnelle, NON, MERCI! Vous ne
pouvez pas nous l'imposer, et, d'ailleurs, vous n'avez pas mandat pour modifier
la Charte.
► Article
I-14. Emploi: Au lieu de classifier l'emploi sous les "compétences partagées" de l'Union, le projet le soustrait aux compétences
de celle-ci et en fait l'objet d'un nouvel article, qui ne prévoit que
l'adoption de "lignes directrices". Comment l'Union
pourra-t-elle continuer à légiférer en matière d'emploi, si cette compétence ne
lui est pas attribuée dans la Partie I, partie fondamentale de la Constitution?
Désirez-vous institutionnaliser la
dérégulation de l'emploi?
Mesdames les
Conventionnelles,
Avez-vous oublié que si vous êtes dans la Convention,
cela est dû aux luttes acharnées et désintéressées de générations de femmes et
à la volonté de vos électrices et électeurs? Unissez-vous, comme l'ont fait, au dernier moment, les 16 femmes
membres de la première Convention pour obtenir un article sur l'égalité des
hommes et des femmes dans la Charte. Craignez-vous d'être taxées de "féminisme", parce que vous réclamez
cette égalité, qui est nécessaire pour une société harmonieuse et juste? Alors,
à quoi servent nos efforts pour la participation des femmes à la prise de
décision? Les conventionnels ne peuvent que soutenir vos initiatives. Mais
prenez-les donc!
Paris, le 27 mai 2003
Avec nos remerciements pour l’attention que vous
voudrez bien porter à cette lettre, nous vous prions de croire, Mesdames les
Conventionnelles, Messieurs les Conventionnels, à toute notre considération.
Marcelle
Devaud, Présidente d’honneur de l’AFEM, Présidente du CILAF (Comité
International de Liaison des Associations Féminines)
Ana
Coucello, Présidente de
l’AFEM, Micheline Galabert, Fondatrice et administratrice de l’AFEM
Maria Angeles Ruiz Tagle, Vice-Présidente (Espagne), Sylvie Ulrich, Vice-Présidente (France)
Sophia
Spiliotopoulos, Vice-Présidente
(Grèce), Teresa Boccia, Vice
Présidente (Italie)